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Page:Meredith - Les Comédiens tragiques, 1926.djvu/110

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LES COMÉDIENS TRAGIQUES

jeter son esprit jusqu’aux limites du possible, et son œil flamboie, — que dis-je, flamboie ? — lance la foudre. On dirait d’un frondeur des Baléares prêt à faire siffler dans l’air son projectile : son regard porte loin, droit, et atteint son but, à condition, toutefois, comme je l’ai dit, que le but soit à sa portée. Moi, je vois plus loin, et je crois lui avoir démontré que je ne suis pas un songe-creux. À mon sens, quand nous croiserons le fer, j’ai bonne chance de n’avoir pas le dessous. Cela arrivera un jour. Vous frémissez ? Je parle au figuré, ma bien-aimée, soyez sans crainte. Pour combatifs que nous soyons, l’un et l’autre, nous sommes maintenant des hommes rassis et de grandes affaires nous réclament ; un parti a les yeux fixés sur lui ; l’autre attend tout de moi. Ne craignez pas, au surplus, de me jamais voir les armes à la main en face de quiconque. L’adversaire à qui j’aurai une leçon à donner, je le mettrai au défi de toucher comme moi un bouton de gilet à la pointe du fleuret, ou de découper, à vingt pas, des cinq et des huit dans des cartes à jouer, mais quelle que soit son insulte, je ne me battrai pas avec lui, car je sais dompter ma colère et ne me soucie pas de prendre sa pauvre petite vie, qui vaut pourtant certes moins que la mienne. Compromettre l’une ou l’autre, c’est une absurdité.

— Oh, oui ! je vous sens inaccessible aux lâches terreurs ! s’écria Clotilde, pour répondre tout haut à la question qu’elle se posait à elle-même, sur la raison de son admiration, de son enthousiaste amour pour cet homme. Elle trouvait une impression de calme et de sécurité dans la notion du courage qui servait de rempart à son noble bon sens,