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Page:Meredith - Les Comédiens tragiques, 1926.djvu/148

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LES COMÉDIENS TRAGIQUES

traits, un à un lui revenaient à l’esprit, clairs messagers de l’obscure splendeur qu’il adorait d’un amour spiritualisé par la tempête. Géant soumis aux convulsions des géants, charnel comme eux, grossier, brutal, terrible et horrible sans doute sous les morsures du fouet et le soulèvement profond des passions, Alvan avait grand cœur : il savait aimer d’un amour de géant, et donner sa vie pour la femme qu’il aimait, bien que la nature de sa passion ne fût pas éthérée, — pour un ami, bien que cet ami pût avoir beaucoup à lui pardonner — ou pour la cause publique, bien qu’elle dût subvenir à ses appétits. C’était un véritable homme, un fils de la terre, et s’il ne savait pas dépouiller sa personnalité formidable pour soupirer des élégies au milieu d’une tempête de douleur, si le tronc noueux de ce chêne géant rendait sous les coins un son puissant de bois écartelé plutôt qu’un cri angélique, il souffrait, comme il aimait, jusqu’au fond de son être.

Ce n’est pas à nous de sonder les profondeurs. Alvan n’était pas héroïque, mais formidablement homme. L’amour et l’homme se rencontrent parfois en un noble accord ; les cordes de l’instrument ne sont pas toutes si rouillées que le doigt de l’Amour ne puisse en tirer de hautes harmonies et couvrir un instant le grincement des rouages. Mais l’amour qui purifie, qui élargit, qui affranchit l’âme, l’amour qui s’approche d’un temple de chair demande temps, espace et aide des circonstances pour rendre ce temple digne des rites. L’homme n’est fait de mélodie que dans les romans. Dans un géant, il y a bien des géants à tuer ou du moins à soumettre, avant que le dieu d’amour exerce toute autorité. La chose ne se fait pas par miracle.