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I

Un bourreau de cœurs ignorant des défaites n’a sans doute pas plus conscience de rôder par la campagne à la poursuite d’une coquette, que la diligente Arachné de tisser une toile destinée à la capture d’un lion dévorant. À dix-sept ans, Clotilde de Rüdiger était lasse de conquêtes. Conquêtes déjà nombreuses, car elle avait commencé tôt, s’étant trouvée, dès son aurore, douée d’une imagination vive, d’une taille parfaite, d’yeux admirables et de rares séductions de teint et de prestance. Elle appartenait, de naissance, à la petite aristocratie de son pays. La nature l’avait prédisposée à la coquetterie, manière d’escrime, passe-temps souvent innocent, souvent utile, mais parfois dangereux, dans ces milieux de barbarie dégrossie qu’on nomme sociétés aristocratiques, où la nature humaine, loin d’être absente, se manifeste au contraire avec une exubérance tropicale, en raison des heures de loisir que lui permettent les copieuses libations de soleil. Une jeune fille que désignent son charme et sa vivacité se voit trop sollicitée de choisir pour arrêter son choix ; le nombre des prétendants lui interdit une immédiate préférence