Aller au contenu

Page:Meredith - Les Comédiens tragiques, 1926.djvu/163

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
159
LES COMÉDIENS TRAGIQUES

cria le général avec un furieux coup d’ongle qui raya le papier, « sans quoi, ma fille, je saurai que tu nous as joué une jolie comédie. Il donna un instant libre cours à sa colère qui fit trembler Clotilde, puis, se radoucissant :

— Non, non ; tu es plus sage que cela ; tu n’es pas si méchante fille. Allons, écris ; il le faut, voyons ! Le plus dur est fait ; ce qui te reste à faire n’est que jeu d’enfant. Viens, prends la plume ; je vais te guider la main.

La plume ainsi fixée traça les premiers mots. C’était un griffonnage si informe que Clotilde se sentit rassurée. On ne pouvait manquer d’y discerner, du premier coup, le résultat d’une contrainte. Elle écrivit donc machinalement, et se consola de sa complaisance en ébauchant pour l’avenir des projets de révolte. Alvan aimait affirmer que « le manque de courage n’est qu’un manque de bon sens ». Le bon sens, selon lui, soutenait le courage et abolissait la terreur de la mort en nous rappelant que chaque soir nous voit sombrer avec joie dans un oubli d’où nous sortons d’ordinaire à regret le matin. Clotilde fermait les yeux, sans cesser d’écrire ; elle songeait que la mort lui eût été douce et prenait le bon sens dont elle ne manquait certainement pas pour une promesse de courage. Non, la mort ne l’effrayait pas, et elle attendait seulement l’arrivée trop cruellement différée de son amant pour se montrer aussi brave que lui, pour être lui au féminin.

Ces idées se formaient dans sa tête avec une lucidité bien plus grande que le jour où elle avait écrit à Alvan les deux lignes fatales : à ce moment-là la tête lui tournait et sa défaite la laissait anéantie. Elle signa sa seconde renonciation avec une rougeur