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Page:Meredith - Les Comédiens tragiques, 1926.djvu/177

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LES COMÉDIENS TRAGIQUES

géant, aigle ou séraphin, ni assumer l’une des formes prodigieuses qu’il lui avait fait entrevoir. Après une telle désillusion, elle avait, pour chasser de son esprit le glorieux amant de son rêve, un peu du dédain courroucé dont elle accablait la femme qui l’avait blessée. Il cessait d’être un Alvan lumineux pour se noyer dans les ténèbres, et elle ne voyait plus guère en lui qu’un obstacle à la paix de sa vie. Sans lui, elle n’eût jamais songé à haïr ses parents ; elle eût goûté les douces soirées familiales, entre le chant de Marko et le crochet de ses sœurs, près de la jeune fiancée dont le sort, maintenant, lui semblait enviable ; sans lui, elle eût vu tout l’avenir devant elle, au lieu de se trouver en face d’une sombre porte de fer. Sans lui, elle n’eût certainement jamais reçu cette lettre de la baronne !

Le lendemain du retour supposé d’Alvan, le général, à qui l’on ne peut dénier des talents de tacticien, vint informer sa fille qu’Alvan lui faisait réclamer ses lettres et ses présents. Cette demande ne s’accordait guère avec le souvenir que gardait d’Alvan son cœur endolori, mais il suffit au général de suggérer que la baronne n’était sans doute pas étrangère à ce geste et qu’un refus pourrait pousser l’odieuse femme à de nouvelles insolences, pour rendre la menace efficace. Clotilde réunit les lettres, rassembla les présents, disposa avec soin livres, brochures, babioles, pièces de monnaie porte-bonheur, jusqu’à une boucle de cheveux noirs et une enveloppe jaunie, portant les cachets de la poste et adressée, de la main d’Alvan, à Clotilde de Rüdiger. Elle fit un paquet du tout, et moitié comme un rappel, moitié par superstition dernière des amants éplorés à l’heure de la rupture — ou