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Page:Meredith - Les Comédiens tragiques, 1926.djvu/22

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LES COMÉDIENS TRAGIQUES

Jusqu’ici, et pour incomplet que soit ce portrait liminaire, Clotilde n’est pas sans émules parmi ses pareilles. D’autres jeunes femmes se sont détournées de nous sans retour pour nous avoir vus maigres et misérables ou débordants de chair sous l’habit féerique qu’elles avaient tissé aux mesures du maître attendu. Mais le monde tumultueux entourait une Clotilde encore malléable, bien qu’elle commençât peut-être à perdre le souvenir du marteau et de l’enclume, et les sollicitations du monde sont bien faites pour inciter une ardente imagination à incarner son idéal dans une image vivante. Après quoi, pour peu que les hommes justifient son choix, le vivant gardera les couleurs de l’idéal. Et l’histoire atteste qu’il peut faire figure d’aigle.

« Savez-vous que vous parlez étonnamment comme Alvan ? » dit un jour à Clotilde, d’un air intrigué, un de ses compatriotes, qui descendait avec elle du rocher de Capri.

Il appartenait à un monde inférieur au sien : celui des arts et lettres. Elle n’avait jamais entendu ce nom d’Alvan, ou n’en gardait aucun souvenir. Mais comme elle se targuait d’une universelle connaissance, surtout en ce qui concernait les célébrités de son temps, et considérait avec quelque envie un monde qui peut prétendre à la première place, elle répugnait à faire aveu d’ignorance. Elle creusa donc sa joue d’une fossette, comme si elle se fût souvent entendu adresser pareille remarque, et sourit d’un air entendu.