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Page:Meredith - Les Comédiens tragiques, 1926.djvu/221

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LES COMÉDIENS TRAGIQUES

tant des roues rappellerait en lui l’émoi de cette heure. Le monde fondu en lui, au feu de sa vitalité, absorbait son esprit, et, chose étrange, il continuait à recevoir du dehors des impressions aiguës et innombrables, sans se pénétrer d’aucune ou leur accorder attention. La masse de ses cheveux noirs ondulait et luisait au-dessus de son noble profil d’aigle. Il tendait à la brise son cou découvert. Sa mâle poitrine s’unissait à sa tête par la colonne massive du cou, voie large ouverte au sang pour porter le feu à la batterie de sa pensée, voire, dans une tempête, pour la submerger et l’éteindre. Sa quarantaine se lisait sur ses traits et dans sa prestance ; c’était une quarantaine de géant que quatre-vingts années ne courberaient pas plus que le pin des rochers, si nulle monstrueuse tempête ne venait le déraciner. Elle accusait sa virilité et respirait la force calme des muscles, des nerfs et du cerveau.

Des passants, la plupart, ignoraient sa personnalité, mais tous le remarquaient ; certains le connaissaient de réputation ; un ou deux de vue. D’aucun il ne passait inaperçu ; les natures moutonnières mêmes qui inclinent à presser leurs chefs de file après un moment de curiosité devant une créature différente d’elles, étaient frappées par son port altier. Peut-être un des passants eût-il pu conter la double histoire de la canne qu’il balançait à la main, avec son écusson brillant de métal où s’inscrivaient les noms du donateur, d’Alvan lui-même, et — nom fameux dans les fastes historiques d’une sinistre époque, — le nom de son premier détenteur. Le récit eût emprunté sa chaleur aux opinions politiques du narrateur, et cette simple canne, souillée, selon les uns, des crimes d’un Tar-