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Page:Meredith - Les Comédiens tragiques, 1926.djvu/225

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LES COMÉDIENS TRAGIQUES

dura son ami. C’est l’amour qui est cause de ce revirement, l’amour qui sanctifie le désir d’un profane pour cette fleur d’un noble jardin, l’amour qui a donné à cette fleur le droit de se laisser cueillir par le profane. Qu’importe que l’un ou l’autre ait souffert pour la conquête d’un but si doux ? C’est l’amour seul qui s’en est ressenti. Bientôt, après avoir feint la plus sereine innocence, elle va s’effondrer tout d’un coup et s’épancher en tristes confidences. Cela, quand ils se trouveront seul à seule dans l’intimité sans bornes des mains jointes. Yeux profonds qui apportez à l’amant, dans vos richesses de lumière intérieure, tout ce qu’il put jamais rêver d’extase et de félicité, un aveuglant baiser vous menace pour peu que vous vous fassiez timides ; et si sa voix ose répéter un des reproches futiles qu’elle s’adresse à elle-même, on l’accusera de mendier de nouveaux baisers. Silence ! cria Alvan à Clotilde ; lui qui n’avait pas ouvert la bouche, il jouissait d’un silence que ne troublait même plus la pensée de baisers ou de bonheur. Son cœur débordant avait soif d’un infini de silence.

Un moment après, il comptait avec elle les jours, les heures, les minutes, gouffre de tortures entre naguère et maintenant, entre la séparation et la réunion ; volubile, il n’était plus que paroles et ne s’arrêtait que pour reprendre haleine avec délices.

Que les aiguilles de sa montre tournaient lentement ! Devant Tresten, Clotilde commençait à baisser les yeux. Oh ! il la connaissait si bien : il savait jusqu’où elle jouerait la comédie et quand elle reviendrait au sérieux. Elle ferait d’abord la coquette pour se donner une contenance ; comment ne pas tolérer à une jeune fille un masque qui