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LES COMÉDIENS TRAGIQUES

Comparer un homme à Satan ce n’est pas toujours atténuer l’intérêt qu’il excite. Clotilde était curieuse d’apprendre en quoi ses façons de parler rappelaient celles d’Alvan. S’il était vraiment le furieux qu’on disait, elle ne pouvait lui ressembler qu’en ses moments d’extravagance, c’est-à-dire en ceux dont elle faisait le plus de cas. Or, elle n’avait rien d’une créature frénétique, malgré toute son originalité, et, puisqu’elle ressemblait à Alvan, elle ne pouvait songer à lui sans adoucir le portrait qu’on lui en traçait. De sottes gens l’avaient bien prise pour une folle ; c’en était assez pour conclure qu’Alvan était, comme elle, victime des préjugés qu’il dédaignait. Elle prenait parfois plaisir à affirmer son mépris pour les conventions vulgaires, et jouissait du scandale soulevé par cette attitude. Elle se sentait dans l’esprit, en pareil cas, quelque chose de satanique, et ces circonstances étant celles qui lui donnaient d’elle-même la plus haute estime, elle eût admiré l’homme qui s’était acquis, au su de tous, un titre aussi redoutable, — s’il n’eût été Juif.

Le Juif, sur Clotilde, faisait le même effet que la chair de porc sur le Juif même. Ses parents partageaient cette horreur de la Juiverie, et leur terme favori pour tout ce qui vivait de bassesse et se vautrait dans la fange était celui de Juif. Fait d’autant plus remarquable que les veines de la jeune génération charriaient une trace de sang sémitique, dont l’origine se trouvait dans la souche maternelle.

Évidemment, l’abjection qui se déguise en satanisme pour la terreur des poltrons, constitue la forme la plus vile d’une impudence qui vise à l’inconscience, et une insolente impudence, sous