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LES COMÉDIENS TRAGIQUES

sensation de sa main libérée lui révéla qu’elle venait d’être prisonnière : un regard jeté autour d’elle lui rappela que ces hommes et ces femmes qui l’entouraient n’étaient pas des fantômes ; des lambeaux de phrases retrouvés, des paroles entendues, approuvées ou réfutées, éclairaient à ses yeux les profondeurs du gouffre qu’elle venait de franchir. Elle ne s’en montrait pas moins aussi prompte qu’Alvan à proposer et à poursuivre les thèmes propres à faire ressortir la vivacité de son esprit et à souligner au moins la force de son caractère. La splendeur intellectuelle de son adversaire l’éblouissait et étouffait en elle la notion de son propre charme : elle faisait feu, pour briller, de tout son esprit ; quant à sa beauté, aux grâces de son visage, c’étaient choses puériles, qui lui faisaient l’effet d’un conte enfantin, avec une parcelle, une ombre, un soupçon de vérité ; c’était un pauvre charme de son sexe, un charme purement féminin et quasi méprisable. Le don d’intelligence était plus rare, et plus rare encore l’audace morale. Oh ! pouvoir rivaliser avec le talent de parole de cet homme, avec son abondance, son ardeur, sa souple énergie, avec la sonorité pleine qu’il savait tirer du moindre sujet. Il n’avait qu’à frapper et l’airain résonnait ; il y avait une cloche dans chacun de ses mots ; la Nature jetait son cri et tout, dans l’univers, prenait un sens ; il n’y avait plus de déchets morts, plus d’affligeante lourdeur. Son intelligence aiguisait la lumière. Et qu’il était humain ! quelle suprême tolérance que la sienne. Dès que, renonçant à frapper d’un doigt impertinent aux portes de la pensée ou à crier au hasard pour éveiller un écho, Clotilde s’efforçait de réfléchir, la fermeté de pensée de cet homme la faisait frémir ;