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Page:Meredith - Les Comédiens tragiques, 1926.djvu/69

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LES COMÉDIENS TRAGIQUES

gogue en délire et l’histrion populaire », dont le nom même était interdit en sa présence. Force lui était donc d’avoir recours à Marko, et comme elle ne pouvait exiger de services sans retour, elle le cajolait. Elle souffrait de le voir souffrir. Celui qui jette des miettes à son chien favori se laisse aller, de temps en temps, à lui octroyer une bouchée de viande ; il sait l’absurdité de ce geste, mais le ravissement du mendiant muet est touchant, et un tout petit morceau ne peut guère lui faire de mal. D’ailleurs, si quelqu’un avait des droits sur elle, c’était le prince : sans cesse en adoration, jamais importun, il la replaçait sur un piédestal d’où l’avait rudement délogée celui qui l’avait soudain soulevée pour la laisser retomber. Une main abandonnée à son esclave lui était une merveilleuse récompense ; une faveur plus marquée le faisait défaillir. À côté d’un paisible et obéissant amour qui la rendait reine, l’impérieux amour qui l’avait fait descendre d’un trône lui apparaissait dépréciateur et insolent. Ainsi, après la scène du « coup de foudre », où elle avait joué son rôle, se résignait-elle presque, malgré quelques désirs intermittents, à ne pas revoir le noble acteur. La scène ne pouvait plus s’effacer de sa mémoire ; elle appartenait désormais à l’histoire et le souvenir d’Alvan lui infligerait toujours un choc délicieux.

Elle se trouvait, pour l’instant, en vacances d’été avec sa famille, et Marko les accompagnait. Présence toute fraternelle, se disait Clotilde, pour n’accorder pas trop d’importance aux qualités du prince et à ses propres émotions On apprécie mal un simple gentleman à l’ombre des géants, mais l’expérience que la jeune fille avait acquise des