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Page:Meredith - Les Comédiens tragiques, 1926.djvu/76

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LES COMÉDIENS TRAGIQUES

magnétisme exercé sur elle par Alvan. À mesure que s’avançait la soirée, elle sentit, à force de penser à lui, croître ses appréhensions, puis s’assombrit et finit par éprouver une véritable terreur panique qu’elle prit pour le signe physique de sa présence. Cependant l’heure étant avancée, Alvan finit par arriver, en effet. Le contact de sa main, la reprise de leur entretien, si naturelle que la longue séparation semblait n’être point intervenue, confirmèrent chez Clotilde la foi en une influence qu’elle était tentée de croire surnaturelle. Et le visage du professeur, sur lequel elle risqua un coup d’œil, lui montra qu’il partageait sa conviction. Alvan et lui s’entretenaient à l’écart de cette rencontre. Alvan vit sans trouble le prince Marko entraîner Clotilde au rythme de la danse, et consacrer toute l’ardeur de son amour sans espoir à l’éphémère éternité de sa possession. Puis, quand Marko eut ramené la jeune fille à ses amis :

— Voilà donc, fit Alvan, un de ces dragons qui veillent sur mon fruit d’or, et qu’il me faudra balayer de mon chemin.

— Lui ! se récria Clotilde, en sentant que Marko ne pesait guère plus que ne l’impliquait son accent. Lui ! mon esclave muet ! Il est inoffensif et ne compte pas au monde des dragons.

Elle avait perçu, sous l’apparente outrecuidance des paroles d’Alvan, une violence virile. Les rivaux avaient échangé le coup d’œil circonspect, ferme et furtif à la fois, des lutteurs au premier contact. Et pour le feu de ce regard, Marko n’avait pas trouvé son maître.

— Lui, ne pas compter ; avec des yeux pareils ! s’écria Alvan. Il s’aidait de sa connaissance préa-