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Page:Meredith - Les Comédiens tragiques, 1926.djvu/86

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LES COMÉDIENS TRAGIQUES

des conventions humaines, la force se dissimule toujours, et se pénétrer de ce fait, c’est posséder la baguette divinatoire, c’est échapper à tous les traquenards. Le maître, c’est celui qui découvre la véritable puissance ; le chef, celui qui l’éveille et la pétrit. Pourquoi ai-je toujours réussi ? Parce que je n’ai jamais douté. Les voies du monde s’ouvrent d’elles-mêmes à qui s’avance d’un pas ferme. Vous, — est-ce à votre honneur ? Je laisse à d’autres le soin d’en juger, — vous m’avez plus longtemps résisté que quiconque. J’ai une Durandal pour abattre les pans de montagnes, une voix pour les oreilles qui savent entendre, un filet pour les papillons, un hameçon pour les poissons et le courage nécessaire pour piquer une tête dans l’eau, mais le feu follet ne veut pas se laisser prendre. Il faut attendre, attendre que le pousse vers nous son désir de retrouver une âme. Et le voici venu. L’âme, il l’a trouvée, et voyez comme, du même coup, le monde, le vieux monstre encore sans âme — nous nous efforçons de lui en donner une ! — se mue en fantôme impuissant à faire obstacle ou à terrifier. Oui, c’est bien une âme que je vous donne, quoi que vous en pensiez. Je vous donne la force qui exécute, le courage qui entreprend. C’est l’âme qui fait tout ici-bas ; le reste n’est qu’illusion. À quel signe on reconnaît l’amour ? Comme on reconnaît la musique : à la note pure que rend une corde bien tendue. La corde bien tendue, c’est la musique et c’est l’amour. Cet air de montagne, plus léger à mesure que nous montons côte à côte, me fait vibrer comme une harpe.

— Oh, parlez ; parlez encore ; parlez toujours ! ne cessez pas de me parler ! s’écria Clotilde.