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Page:Meredith - Les Comédiens tragiques, 1926.djvu/91

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LES COMÉDIENS TRAGIQUES

de profond dégoût pour la conversation n’était pas faite pour animer l’entretien, Alvan se mit à lancer des idées générales et à prendre le dé de la causerie. Cela paraissait naturel, parce qu’il était orateur né, et que son esprit s’avérait aussi meublé qu’étincelant. De plus, il avait une bienveillance spontanée qui le portait à s’intéresser à toutes les manifestations de la vie. Clotilde, à l’entendre, s’expliqua sa popularité dans toutes les classes et tous les partis, et sa réputation de séducteur auprès des femmes. Son amie anglaise était dans le ravissement et le soir, au cours d’un entretien familier, elle posa des questions auxquelles la jeune fille répondit sur ce ton évasif qui est déjà une manière d’aveu.

— N’êtes-vous pas fiancée ? trancha l’honnête insulaire.

Non, Clotilde n’était pas fiancée, au sens exact du terme. Il n’était pas facile, à vrai dire, de définir sa situation. Elle avait, pour complaire aux vœux d’une mourante, — sa plus chaude tendresse terrestre, — consenti à mettre sa main dans celle du prince Marko, et pour le plus grand plaisir de ses parents, confirmé cette sorte de promesse en témoignant au prince des attentions très précises. Mais tout cela, elle l’avait fait pour avoir la paix et pour la joie de Marko. Elle avait réservé son consentement définitif, et l’engagement était incomplet. Marko savait bien, lui, qu’il y avait un autre homme, un génie de l’anneau, un être irrésistible. Il avait été prévenu qu’au cas où l’autre viendrait la réclamer… Et, ce soir même, elle allait lui écrire pour lui dire, pour lui exposer, dans tous les détails… À la vérité, elle les aimait tous deux, mais de façon différente… Et tous deux l’aimaient ! Il fallait