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Page:Meredith - Les Comédiens tragiques, 1926.djvu/97

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LES COMÉDIENS TRAGIQUES

Elle demanda à voir un portrait de la dame.

Alvan tira une photographie de son portefeuille et observa à la dérobée les paupières de Clotilde, tandis qu’elle scrutait les traits flétris de la femme grisonnante. En pareil cas le jeu des paupières révèle l’esprit critique ; celles de Clotilde s’abaissèrent au point de presque mêler leurs cils, marque de dédain mortel qui fit rougir Alvan.

— Songez à son âge, fit-il, en indiquant une date de naissance qui plaçait la baronne au rang des aïeules.

Clotilde haussa les épaules et, renonçant brusquement à sa contemplation décevante, hocha la tête sans lever les yeux et tendit de côté la carte à Alvan avec une expression dont le douloureux verdict était irréfutable.

— Il y a vingt ans ! gronda-t-il. Pour incroyable que la chose pût paraître à Clotilde, la baronne avait été belle à voir, vingt ans plus tôt.

Clotilde se remit à hocher la tête et soupira. Alvan haussa les épaules ; elle le regarda et ce regard lui fit détourner les yeux. Pour la première fois, depuis leur connaissance, elle se voyait un avantage marqué, et comme l’occasion promettait d’être rare, elle n’entendait pas la laisser échapper. Elle poussa un nouveau soupir, et Alvan fut blessé du peu de cas qu’elle faisait de son ancienne conquête.

— Maintenant, bien sûr ! fit-il avec impatience.

— Je ne puis ressentir de jalousie, ni craindre de rivalité, répliqua-t-elle d’un ton désabusé.

L’ironie de son regard et son hochement de tête incitèrent Alvan à vanter l’énergie de la baronne et sa générosité.