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Page:Merimee - Chronique du regne de Charles IX, La Double meprise, La Guzla, Charpentier 1873.djvu/251

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s’alliait fort bien avec une certaine réserve dédaigneuse qui n’était pas de la pruderie. En fin elle savait être aimable avec tout le monde, mais avec tout le monde également. La médisance ne pouvait trouver le plus petit reproche à lui faire.

II.

Les deux époux avaient dîné chez madame de Lussan, la mère de Julie, qui allait partir pour Nice. Chaverny, qui s’ennuyait mortellement chez sa belle-mère, avait été obligé d’y passer la soirée, malgré toute son envie d’aller rejoindre ses amis sur le boulevard. Après avoir dîné, il s’était établi sur un canapé commode, et avait passé deux heures sans dire un mot. La raison était simple : il dormait ; décemment d’ailleurs, assis, la tête penchée de côté et comme écoutant avec intérêt la conversation ; il se réveillait même de temps en temps et plaçait son mot.

Ensuite il avait fallu s’asseoir à une table de whist, jeu qu’il détestait parce qu’il exige une certaine application. Tout cela l’avait mené assez tard. Onze heures et demie venaient de sonner. Chaverny n’avait pas d’engagement pour la soirée : il ne savait absolument que faire. Pendant qu’il était dans cette perplexité, on annonça sa voiture. S’il rentrait chez lui, il devait ramener sa femme. La perspective d’un tête-à-tête de vingt minutes avait de quoi l’effrayer ; mais il n’avait pas de cigares dans sa poche, et il mourait d’envie d’entamer une boîte qu’il avait reçue du Havre au moment même où il sortait pour aller dîner. Il se résigna.

Comme il enveloppait sa femme dans son châle, il ne put s’empêcher de sourire en se voyant dans une glace remplir ainsi les fonctions d’un mari de huit jours. Il considéra aussi sa femme, qu’il avait à peine regardée. Ce soir-là elle lui parut plus jolie que de coutume : aussi