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Page:Merimee - Chronique du regne de Charles IX, La Double meprise, La Guzla, Charpentier 1873.djvu/265

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vait une vive satisfaction à penser que plusieurs de ses amis enviaient son bonheur, et, selon toute apparence, le supposaient beaucoup plus grand qu’il n’était en réalité.

Julie, après avoir senti sa cassolette et son bouquet à plusieurs reprises, parla de la chaleur, du spectacle, des toilettes. Châteaufort écoutait avec distraction, soupirait, s’agitait sur sa chaise, regardait Julie et soupirait encore. Julie commençait à s’inquiéter. Tout d’un coup il s’écria :

— Combien je regrette le temps de la chevalerie !

— Le temps de la chevalerie ! Pourquoi donc ? demanda Julie. Sans doute parce qu’un costume du moyen âge vous irait bien ?

— Vous me croyez bien fat, dit-il d’un ton d’amertume et de tristesse. — Non, je regrette ce temps-là… parce qu’un homme qui se sentait du cœur… pouvait aspirer à… bien des choses… En définitive, il ne s’agissait que de pourfendre un géant pour plaire à une dame… Tenez, vous voyez ce grand colosse au balcon ? je voudrais que vous m’ordonnassiez d’aller lui demander sa moustache pour me donner ensuite la permission de vous dire trois petits mots sans vous fâcher.

— Quelle folie ! s’écria Julie, rougissant jusqu’au blanc des yeux, car elle devinait déjà ces trois petits mots. — Mais voyez donc madame de Sainte-Hermine : décolletée à son âge et en toilette de bal !

— Je ne vois qu’une chose, c’est que vous ne voulez pas m’entendre, et il y a longtemps que je m’en aperçois… Vous le voulez, je me tais ; mais… ajouta-t-il très-bas et en soupirant, vous m’avez compris…

— Non, en vérité, dit sèchement Julie. Mais où donc est allé mon mari ?

Une visite survint fort à propos pour la tirer d’embarras. Châteaufort n’ouvrit pas la bouche. Il était pâle et paraissait profondément affecté. Lorsque le visiteur sor-