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Page:Merimee - Chronique du regne de Charles IX, La Double meprise, La Guzla, Charpentier 1873.djvu/288

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— Un ataghan ? dit Châteaufort qui aimait la couleur locale.

« — Un ataghan, reprit Darcy avec un sourire d’approbation. Il passa auprès de moi, et me donna sur la tête un coup de cet ataghan qui me fit voir trente six… bougies, comme disait si élégamment mon ami M. le marquis de Roseville. Je ripostai pourtant en lui assénant un bon coup de piquet sur les reins, et je fis ensuite le moulinet de mon mieux, frappant ânier, esclaves, cheval et Turc, devenu moi-même dix fois plus furieux que mon ami sir John Tyrrel. L’affaire aurait sans doute tourné mal pour nous. Notre drogman observait la neutralité, et nous ne pouvions nous défendre longtemps avec un bâton contre trois hommes d’infanterie, un de cavalerie et un ataghan. Heureusement sir John se souvint d’une paire de pistolets que nous avions apportée. Il s’en saisit, m’en jeta un, et prit l’autre qu’il dirigea aussitôt contre le cavalier qui nous donnait tant d’affaires. La vue de ces armes et le léger claquement du chien du pistolet produisirent un effet magique sur nos ennemis. Ils prirent honteusement la fuite, nous laissant maîtres du champ de bataille, du sac et même de l’âne. Malgré toute notre colère, nous n’avions pas fait feu, et ce fut un bonheur, car on ne tue pas impunément un bon musulman, et il en coûte cher pour le rosser.

« Lorsque je me fus un peu essuyé, notre premier soin fut, comme vous le pensez bien, d’aller au sac et de l’ouvrir. Nous y trouvâmes une assez jolie femme, un peu grasse, avec de beaux cheveux noirs, et n’ayant pour tous vêtements qu’une chemise de laine bleue un peu moins transparente que l’écharpe de madame de Chaverny.

« Elle se tira lestement du sac, et, sans paraître fort embarrassée, nous adressa un discours très-pathétique sans doute, mais dont nous ne comprîmes pas un mot ;