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Page:Merimee - Chronique du regne de Charles IX, La Double meprise, La Guzla, Charpentier 1873.djvu/292

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savoir au fond de la mer, et qui avais attiré tant de malheurs sur mes amis. Tyrrel sut se tirer d’affaire ; il passa pour victime, tandis que lui seul était cause de toute la bagarre, et moi je restai avec une réputation de don Quichotte et la balafre que vous voyez, qui nuit beaucoup à mes succès. »

L’histoire contée, on rentra dans le salon. Darcy causa encore quelque temps avec madame de Chaverny, puis il fut obligé de la quitter pour se voir présenter un jeune homme fort savant en économie politique, qui étudiait pour être député, et qui désirait avoir des renseignements statistiques sur l’empire ottoman.

X.

Julie, depuis que Darcy l’avait quittée, regardait souvent la pendule. Elle écoutait Châteaufort avec distraction, et ses yeux cherchaient involontairement Darcy, qui causait à l’autre extrémité du salon. Quelquefois il la regardait tout en parlant à son amateur de statistique, et elle ne pouvait supporter son regard pénétrant, quoique calme. Elle sentait qu’il avait déjà pris un empire extraordinaire sur elle, et elle ne pensait plus à s’y soustraire.

Enfin elle demanda sa voiture, et, soit à dessein, soit par préoccupation, elle la demanda en regardant Darcy d’un regard qui voulait dire : — Vous avez perdu une demi-heure que nous aurions pu passer ensemble. La voiture était prête. Darcy causait toujours, mais il paraissait fatigué et ennuyé du questionneur qui ne le lâchait pas. Julie se leva lentement, serra la main de madame Lambert, puis elle se dirigea vers la porte du salon, surprise et presque piquée de voir Darcy demeurer toujours à la même place. Châteaufort était auprès d’elle ; il lui offrit son bras qu’elle prit machinalement sans l’écouter, et presque sans s’apercevoir de sa présence.