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Page:Merimee - Chronique du regne de Charles IX, La Double meprise, La Guzla, Charpentier 1873.djvu/315

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alors ce qu’elle avait à faire. Elle ne s’arrêta pas un moment à l’idée de revoir Darcy. Cela lui paraissait impossible ; elle serait morte de honte en l’apercevant. Elle devait quitter Paris, où dans deux jours tout le monde la montrerait au doigt. Sa mère était à Nice ; elle irait la rejoindre, lui avouerait tout ; puis, après s’être épanchée dans son sein, elle n’avait, plus qu’une chose à faire, c’était de chercher quelque endroit désert en Italie, inconnu aux voyageurs, où elle irait vivre seule, et mourir bientôt.

Cette résolution une fois prise, elle se trouva plus tranquille. Elle s’assit devant une petite table en face de la fenêtre, et, la tête dans ses mains, elle pleura, mais cette fois sans amertume. La fatigue et l’abattement l’emportèrent enfin, et elle s’endormit, ou plutôt elle cessa de penser pendant une heure à peu près.

Elle se réveilla avec le frisson de la fièvre. Le temps avait changé, le ciel était gris, et une pluie fine et glacée annonçait du froid et de l’humidité pour tout le reste du jour. Julie sonna sa femme de chambre, « Ma mère est malade, lui dit-elle, il faut que je parte sur-le-champ pour Nice. Faites une malle, je veux partir dans une heure.

— Mais, madame, qu’avez-vous ? N’êtes-vous pas malade ?… Madame ne s’est pas couchée ! s’écria la femme de chambre, surprise et alarmée du changement qu’elle observa sur les traits de sa maîtresse.

— Je veux partir, dit Julie d’un ton d’impatience, il faut absolument que je parte. Préparez-moi une malle.

Dans notre civilisation moderne, il ne suffit pas d’un simple acte de la volonté pour aller d’un lieu à un autre. Il faut un passe-port, il faut faire des paquets, emporter des cartons, s’occuper de cent préparatifs ennuyeux qui suffiraient pour ôter l’envie de voyager. Mais l’impatience de Julie abrégea beaucoup toutes ces lenteurs nécessaires. Elle allait et venait de chambre en chambre,