Page:Merimee - Chronique du regne de Charles IX, La Double meprise, La Guzla, Charpentier 1873.djvu/325

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qu’à Raguse. C’était bien le plan le plus original, le plus beau, le plus neuf, sauf la question d’argent !… En avisant au moyen de la résoudre, l’idée nous vint d’écrire d’avance notre voyage, de le vendre avantageusement, et d’employer nos bénéfices à reconnaître si nous nous étions trompés dans nos descriptions. Alors l’idée était neuve, mais malheureusement nous l’abandonnâmes. Dans ce projet qui nous amusa quelque temps, Ampère, qui sait toutes Les langues de l’Europe, m’avait chargé, je ne sais pourquoi, moi, ignorantissime, de recueillir les poésies originales des Illyriens. Pour me préparer, je lus le Voyage en Dalmatie de l’abbé Fortis, et une assez bonne statistique des anciennes provinces illyriennes, rédigée, je crois, par un chef de bureau du ministère des affaires étrangères. J’appris cinq à six mots de slave, et j’écrivis en une quinzaine de jours la collection de ballades que voici.

Cela fut mystérieusement imprimé à Strasbourg, avec notes et portrait de l’auteur. Mon secret fut bien gardé, et le succès fut immense.

Il est vrai qu’il ne s’en vendit guère qu’une douzaine d’exemplaires, et le cœur me saigne encore en pensant au pauvre éditeur qui fit les frais de cette mystification ; mais, si les Français ne me lurent point, les étrangers et des juges compétents me rendirent bien justice.

Deux mois après la publication de la Guzla, M. Bowring, auteur d’une anthologie slave, m’écrivit pour me demander les vers originaux que j’avais si bien traduits. Puis M. Gerhart, conseiller et docteur quelque part en Allemagne, m’envoya deux gros volumes de poésies slaves traduites en allemand, avec la Guzla traduite aussi,