Page:Merlant - Bibliographie des œuvres de Senancour, 1905.djvu/8

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Dans la 14e leçon de son cours sur Chateaubriand, Sainte-Beuve citait quelques fragments inédits de Sénancour : « … Imprimer tout ce qu’on peut avoir à dire en trois volumes ou peut-être deux, y travailler quinze ans… Mais la vie que je mène est celle d’un esclave à qui la mort est refusée. »

Cette note est de 1820. Sainte-Beuve aurait pu citer celle-ci, plus douloureuse encore, écrite en 1822 d> (août) : « Idée d’une dernière édition. Ma tête, plus lasse de ma vie insipide et difficile que fatiguée de travail, se refusera peut-être de bonne heure à toute occupation forte. J’entreprendrai peut-être une partie du grand ouvrage que je projetais (La Vérité éternelle). Peut-être aussi ferai-je fort peu de chose. Tout dépend de l’aisance que j’aurais. Moins je me promets de l’avenir, plus je me vois forcé de mettre quelque importance à ce que j’ai fait jusqu’à présent. Je projette de réunir sous un titre commun (Ecrits d’un solitaire ou autre titre moins mauvais) les Rêveries, les autres fragments de l’Amour, etc… enfin toutes les feuilles informes et tronquées que j’ai écrites jusqu’à ce jour. Et cela dès que j’aurai des fonds pour acquérir un petit asile où pourront s’écouler quelques années plus paisibles et un peu plus loin de ces songes qui ne m’ont jamais abusé. Il en est qui dans tous les temps auraient pu me plaire, mais les choses les plus simples ne sont pas les moins difficiles à réaliser. » (On lit sur cette page, en travers du manuscrit original : « Projets vagues » ).

La vie de Sénancour s’est ainsi passée, à faire des projets ; il n’a consenti à se reconnaître tout entier dans aucune de ses œuvres ; il n’a jamais rien écrit de définitif. Je ne connais pas de vie plus noble, consacrée avec plus d’obstination à la recherche de la vérité.

(1) Je la tiens de M. Boisseau, qui la tient lui-même de M. A. Tornûdd, à qui M. de Lovenjoul a dû la communiquer.