Page:Metzger - Jean-Jacques Rousseau à l’île Saint-Pierre, 1877.djvu/14

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l’embarcation, car il avait remarqué que la receveuse, qui avait quelque aversion pour les trajets sur l’eau, même de courte durée, ne témoignait aucune crainte, alors qu’elle était sous sa conduite. Quel triomphe encore pour lui, quand le receveur, sur ses conseils, eut fait venir des lapins de Neuchâtel, et que lui, Jean-Jacques, put les mener à son île, et suivre chaque jour les progrès de leur population. Pauvres lapins ! de leur séjour, de leur présence sur cette butte, il ne reste plus aucune trace, et Jean-Jacques lui même n’a jamais su leur sort, soit qu’ils aient été décimés par le froid, ou qu’ils aient passé dans la cuisine du receveur, ce qui est plus probable.

Sur le versant méridional de l’île, et juste en face de celle des Lapins, se trouve un banc, de chétive apparence, que nul écrit ne recommande et qu’ombrage à peine un jeune noyer. C’est sur ce banc que le philosophe aimait à venir rêver le soir, et surtout quand le lac était agité. Il prenait un plaisir singulier à voir les flots se briser à ses pieds, et à comparer le tumulte, et la furie impuissante des éléments, aux vains efforts que faisaient ses ennemis pour le troubler. Car il croyait toujours être le point de mire des persécutions de tous ses contemporains, et il entretenait en lui cette disposition ombrageuse, qui lui était naturelle, si bien qu’il ne craignit pas d’écrire un livre, je ne dirai pas pour sa justification, mais pour sa glorification personnelle.

En effet, que nous présentent les Confessions, sinon l’apologie de la vie de Rousseau ; trouvez une seule page où ne règne pas le moi, l’éternel moi, et dans laquelle l’auteur ne parle de sa personne. Et quel livre navrant