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LA PHILOSOPHIE DE LA MATIÈRE

fit sur le champ des progrès immenses ; il n’a pas suffi de vouloir analyser, il a fallu savoir quoi analyser et comment l’analyser ; vers le troisième quart du xviiie siècle la chimie réussit selon l’expression de Fourcroy[1] à éliminer l’analyse fausse ou compliquée pour se consacrer entièrement à l’analyse vraie ou simple. Lavoisier n’eut jamais à désespérer ou à douter de la puissance des procédés de la chimie ; ces procédés bien appliqués avaient déjà fourni leurs preuves ; il ne restait plus qu’à les utiliser au mieux et à les amener si possible à un plus haut degré de perfection.

La dissertation précédente ne nous a éloigné un instant de notre sujet d’études que pour projeter sur lui une lumière pénétrante ; rappelons-nous constamment qu’à l’époque où Lavoisier entreprit ses travaux la possibilité d’analyses tentées de diverses manières et donnant des résultats constants lorsqu’elles sont effectuées sur des substances inorganiques (et même sur certaines substances organiques) bien définies n’était plus niée par personne ; tout le monde croyait que les corps complexes que l’analyse chimique avait pu scinder en substances plus simples étaient dus effectivement à la combinaison de ces substances simples, et personne ne s’avisait d’insister sur une notion péniblement acquise, mais qui la coutume aidant finit par aller de soi.

D’autre part l’art du chimiste, par des artifices admirables sur lesquels nous ne devons pas nous étendre était enfin parvenu à capter les vapeurs les plus subtiles, les airs ou gaz qui parfois dévoilaient leur présence par une couleur ou une odeur mais qui jusqu’alors se perdaient pour la science en se dissipant dans l’atmosphère. Dès lors, aucune parcelle de matière, mise en jeu par les réactions matérielles ne put échapper à la perspicacité du savant. De ce fait nouveau dont personne avant Lavoisier n’avait deviné l’importance prépondérante, le grand homme déduisit la valeur scientifique de la pesée.

Nous sommes obligé d’ouvrir ici une parenthèse, pour tenter de préciser quel fut le rôle de Lavoisier dans ce qu’on appelle improprement sa découverte de la conservation de la matière. Ce problème fut l’objet des méditations du regretté Émile Meyerson dans un des chapitres les plus suggestifs de son beau livre Identité et

  1. La chimie des dames, 1787, introduction.