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iv. état des personnes et civilisation

de la morale chrétienne sont mises en oubli, tandis qu’on se ferait scrupule de manquer à l’observation de préceptes secondaires. Raoul de Cambrai n’a aucun regret d’avoir brûlé le moutier d’Origni et les religieuses inoffensives qui l’habitaient, mais il se garde bien de manger gras le vendredi saint. Voici quelques faits caractéristiques qu’on peut relever dans Girart de Roussillon. Après la victoire, on massacre les prisonniers, ne réservant que les riches barons qui peuvent payer rançon (§ 89). C’est l’usage constant de tout le moyen âge. Après la prise ou la capitulation d’une ville, on mutile les soudoyers de la garnison, afin de les mettre hors de service (§§ 602, 607). On tue les paysans de son adversaire au même titre qu’on lui détruit ses moissons ou qu’on lui coupe ses vignes ou ses arbres fruitiers (§§ 121, 127, 132). Par là, on le ruine.

Ces actes ne sont point répréhensibles en eux-mêmes. Ils ne le deviennent qu’en deux cas. D’abord, lorsque les hommes sans défense ainsi mis à mort de sang froid sont sous la protection d’une église. Girart viole le droit d’asile en massacrant cent hommes du roi qui se tenaient pressés autour d’une croix. « Il n’était pas possible, » nous dit le poète, « que Dieu n’entrât pas en courroux contre Girart ; et, dès lors, la guerre tourna à son désavantage » (§413). Le second cas est celui où le meurtre a été accompli par un vassal sur la personne de son seigneur. Girart, réfugié dans les bois, avoue à un vieil ermite qu’il nourrit le dessein de se placer en embuscade dans les bois où Charles va chasser, et de le tuer. Le vieillard se récrie : « Tu veux tuer ton seigneur direct ! Mais alors tu ne trouveras plus ni clerc, ni saint homme, ni évêque, ni pape, ni docteur, qui consente jamais à te