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ccviii
appendice

[§ 516] (vo) A la requeste du saint preudhomme hermite, le très noble prince Gerard demoura illec celle nuitiée. Et en passant le surplus de la journée, se chaufferent et aisierent ensemble, luy, la dame, la jeune damoiselle et le saint homme, quy de fait apensé les avoit retenus pour plus aiseement sçavoir la bonne ou mauvaise voulenté du vaillant duc que point ne congnoissoit ancoires. Touteffois il luy enquist de son estat, lorsque le jour fut venu, le plus aguement qu’il peust, et le duc luy en racompta assez près pour de luy et de son estat et renom donner aucune congnoissance. Et quant l’eure du repos fut venue, ilz prindrent a eulx mettre a repos pour dormir. Mais très petit reposa le noble prince, ainchois ne fina de toute la nuit penser a son estat qu’il souloit maintenir en hautesse, en honneur, en grant pompe et en toute prosperité et joieuseté mondaine. Et ores luy convenoit sieuvir le chemin et les termes de povreté, de adversité, de dangier et de toute tribulation, en quoy il se veoit tout plainement bouté, et par quoy il povoit venir au trés douloureux manoir et logeis de desesperance. Et en bonne verité l’istoire maintient que par plusieurs foiz eust esté surprins des temptations de l’ennemy d’enfer, tant estoit desconforté, n’eust esté le sens et la bonne discretion de la vaillant duchesse, quy a tous propos le reconfortoit en luy remoustrant les fortunes et la muableté des choses mondaines et les haultes vertus des choses infinies de Dieu moult doulcement et amiablement. Et en celle meisme nuit, comme vous pouez de (fol. iiiic lxj) legier penser, ne dormit guaires le saint preudhomme hermite, ainchois escoutoit les complaintes du douloureux prince et les grandes lamentations qu’il faisoit a soy meismes, disant en son courage en gémissant et jettant de griefz souspirs : « Ha a ! » fait il, « comme de trés malle heure feuz je né de mere, pour en mes vieulx jours estre subject a si grant misere et meschanceté comme je perchoy plainement quy desja encommence a moy approchier pour me courir seure. Las ! moy chetif, or souloie estre grant seigneur, grant et riche terrien, en tous biens habondant et haultement honnouré de tous princes, chevalliers et nobles hommes ; j’avoie mes grandes citez, mes fors chasteaulx, mes champs, mes prez, mes bois et mes rivieres pour moy desduire. Certes, j’a-