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ii. — histoire de charles martel

A l’eure que le noble duc et sa compaignie arriverent en l’ermitage ou le saint preudhomme estoit a deux genoulx par grant devotion, car il estoit heure de vespres, si le regarda moult le bon duc pour tant qu’il le veoit estrangement vestu de une vieille pel d’un chevreu quy mie ne luy couvroit la moittié de son humanité. [§ 515[1]] Et quand le saint preudhome eust son oraison finée, il se leva en son estant et s’en ala appuiant d’un baston tout bellement comme celluy quy bien en estoit aisié, et regarda la compaignie qu’il arraisonna, et demanda au duc dont il estoit ; et le duc luy respondy qu’il estoit de Bourgoingne et filz d’un riche baron lequel avoit eu guerre au roy Charles (fol. iiijc lx) Martel de France, lequel par force les avoit desheritez et chassez du paijs comme il povoit veoir. Adont l’ancien hermite luy demanda ou il aloit pour lors : « En bonne foy, beau pere, » respondy le duc, « je vouldroie bien estre en Hongrie, car la demeure le pere de ceste dame lequel, comme je tiens, nous requeillera avecques luy et me aidera a vengier du roy Charles Martel que je ne pourroie amer en cœur, ainchois l’ay en telle hayne que je le vouldroie avoir occis, et l’en me deüst incontinent apres ce oster la vie du corps. »

Le saint preudhomme, quy a tel propos ne voulu ancoires nulle response donner, luy demanda qui l’avoit celle part adrechié, disant que ce n’estoit pas bien son chemin pour aler en Honguerie. Si luy respondy le duc : « Certainement, beau pere, au jour d’huy me suis party de l’hermitage d’un bon saint preudhomme hermite, lequel demeure a une lieue d’icy, auquel je cuiday ung mien escuier faire confesser, pour tant qu’il estoit malade jusques au morir, mais celluy hermite n’est et point, a mon advis, duit du mestier. Si me dist que vers vous venisse confesser ung peché que je vous viens declairer a celle fin qu’il luy puist valloir au prouffit de son ame, et qu’elle ne soit pour ce cas empeschie. » Si le prinst fort a regarder le bon hermite, et dist que avecques luy feussent reposans pour celle nuit, et que le lendemain au matin il rescouteroit voulentiers, se son aise et son plaisir estoit de soi ainsi conduire, a quoy le duc respondy qu’il le feroit ainsi.

  1. Je place entre [] les numéros des §§ correspondants du poème.