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appendice

273 ; la forêt d’Ardenne s’appelle Ardence à la tirade 463. Notons, en passant, que ce ne sont pas là des transformations motivées par le passage des assonances aux rimes : les finales ane et ance, ene et ence seraient distinctes dans les assonances comme elles le sont dans les rimes. Ce sont des altérations arbitraires dont on a, du reste, des exemples en d’autres poèmes[1]. Si l’on compare les inconséquences linguistiques de Girart de Roussillon avec celles bien autrement graves qu’offre Guillaume de Tudèle dans la première partie du poème de la croisade, on se convaincra aisément qu’il n’y a entre les deux cas qu’une analogie apparente. Guillaume de Tudèle est absolument incorrect. Il essaie d’écrire dans une langue qui n’est pas la sienne et qu’il sait mal. Il emploie des formes et des locutions contraires à tout usage. Il fait de constants emprunts au français des chansons de geste qu’il avait lues, qu’il savait plus ou moins par cœur, puisqu’il avait été jongleur avant d’être honoré d’un canonicat par le comte Baudouin. Il s’est trouvé dans des circonstances particulières que nous devons admettre en présence du témoignage de l’auteur lui-même, mais que nous ne pouvons supposer en aucun autre cas. Sa langue est formée par la voie littéraire plutôt que par l’usage ; elle est donc artificielle au plus haut degré.

Tout autre est la langue du Girart de Roussillon renouvelé : on n’y voit point paraître ces locutions banales, pour ainsi dire stéréotypées, qui abondent dans les chansons de geste française. C’est une langue naturelle, fondée sur l’usage. Seulement cet usage n’est pas celui d’une seule localité ; l’auteur s’est permis des excursions sur le terrain voisin. C’est là, assurément, une licence, mais une licence circonscrite par les limites du territoire qui englobait les formes divergentes employées concur-

  1. Ainsi dans la seconde partie du poème de la croisade albigeoise ; voy. mon introduction à ce poème, pp. cviii, cix.