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girart de roussillon

et de Bertolais[1]. Sire, tu me le baillas ; je le gardai : en aucun besoin où je me soie trouvée, je ne m’en suis défait. » Et Girart répondit : « Je le sais bien ; puisque vous le voulez, j’irai. »

539. Le jour est passé et le soir venu ; la nuit est à son milieu, et l’obscurité s’est épaissie. Alors il y eut un grand bruit et un grand mouvement de moines, de chanoines, de simples clercs. La reine s’en va pieds-nus au moutier. Girart se leva et vint là. Auprès d’un autel faiblement éclairé, sous une arcade, il la trouva priant. Il se glissa tout près d’elle, et ne demeura point muet : « Dame, pour l’amour de Dieu qui fait miracles, et pour l’amour des saints que vous avez requis, et pour l’amour de Girart qui te fut engagé, dame, je te crie merci pour que tu me viennes en aide ! » La reine lui dit : « Brave homme barbu, que savez-vous de Girart ? qu’est-il devenu ?

540. — Dame, pour tous les saints que vous priez et pour l’amour de Dieu que vous adorez, et par cette vierge dont, il naquit, si vous voyiez ici le comte Girart, dites-moi, reine, qu’en feriez-vous ? » La reine répond : « Brave barbu, vous faites grand péché en me conjurant[2]. Je vou-

  1. Voir§ 37.
  2. Conjurer, en droit féodal, voulait dire mettre en demeure ou sommer, au nom de la foi jurée, d’accomplir un devoir. Le seigneur pouvait conjurer son vassal, et réciproquement le vassal pouvait conjurer son seigneur ; voir, sur ce sens, Du Cange, conjurare. Ici conjurer est employé dans une acception différente : c’est mettre la personne interpellée dans l’obligation de répondre la vérité, une réponse mensongère ou évasive devenant un parjure à cause des noms sacrés qu’a invoqués l’auteur de la question. Ainsi, dans une enquête datée de 1089, un témoin est mis en demeure de déclarer la vérité sous la foi du serment. Il refuse de prêter le serment et de répondre. On l’y contraint aussitôt en le conjurant : « Isoardus et archiepiscopus dixerunt Petro Bailo ut diceret veritatem sicut ipse sciebat, ut ipse possit jurare quod ita sit. At ille noluit jurare nec dicere veritatem. Illi vero constrinxerunt eum per fidelitatem Dei et sancte Marie et sancti Marcellini