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état des personnes et civilisation

attribuant l’une des filles de l’empereur grec à Girart et l’autre à lui : il veut avoir celle qui était réservée à son puissant vassal, et il l’a ; il est envieux de la puissance de Girart, et, quel que soit le prétexte invoqué, l’envie est le mobile qui le porte à attaquer son beau-frère. Vers la fin du poème, dans la partie que l’on peut considérer comme l’œuvre entière du renouveleur, il joue un rôle presque ridicule, se laissant gouverner, pour ainsi dire malgré lui, par sa femme. Mais il est vaillant guerrier : il se rencontre sur le champ de bataille avec Girart et le désarçonne (§ 84). Il a surtout la qualité la plus haute du seigneur du moyen âge : « Il est, » dit le poète, « le meilleur justicier que je sache (§ 1). » Le bon justicier, aux premiers temps de la féodalité, ce n’est pas tout à fait celui qui sait juger avec intelligence un procès : c’est surtout celui qui ne se laisse pas corrompre à prix d’argent par l’une des parties (§ 200). Les débats sont d’ailleurs aisés à conduire, puisqu’on s’en remet le plus ordinairement, pour l’appréciation de la cause, au combat judiciaire.

Ainsi que dans la plupart des anciennes chansons de geste, le roi-empereur est comme entouré d’une auréole de majesté qu’il doit moins à sa puissance effective qu’à son titre. « De la mer jusqu’ici, » dit le poète, « il n’y a si riche baron qui ne tremble lorsque le roi s’irrite » (§ 1). La majesté impériale se manifeste par des signes extérieurs. On disait proverbialement d’un homme de belle et fière apparence, qu’il avait la prestance d’un empereur (§ 275). Comme tout seigneur, le roi a droit au dévouement absolu de ses hommes ; mais, lors même qu’il est en guerre avec des vassaux déliés de l’obligation féodale, il n’est pas avec ses adversaires sur le pied de l’égalité : il con-