Page:Meyerson - Identité et réalité, 1908.djvu/202

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accrue pour être obligés de formuler des réserves analogues[1].

Que devrait être en réalité une démonstration expérimentale valable de la conservation de l’énergie ? Il faudrait une série considérable d’expériences démontrant qu’à travers toute sorte de transformations, dans les conditions les plus diverses, les différentes formes de l’énergie se transforment l’une dans l’autre d’après des équivalents restant constants, dans les limites des erreurs des instruments de mesure. C’est, semble-t-il, à une démonstration de ce genre que pensait Helmholtz en 1847 quand, après avoir fourni la double déduction dont il sera question plus bas, il terminait en déclarant que « la confirmation complète de la loi doit être considérée comme une des tâches principales que la physique aurait à accomplir dans les années à venir[2] ».

Or, aujourd’hui encore, la tâche ainsi comprise ne peut être remplie. Il n’est même pas bien certain que, si nous pouvions très exactement mesurer toute l’énergie à nous connue et qui entre en jeu dans un phénomène quelconque, nous la trouverions vraiment constante ; et ceci pour la raison bien simple que nous ne sommes nullement assurés de connaître toutes les formes de l’énergie. Pour affirmer le contraire, il faudrait que nous établissions entre les formes connues une relation d’où découlerait qu’elles sont les seules possibles. Or nous ne connaissons pas de relations de ce genre, ou plutôt celles que nous connaissons semblent indiquer qu’il doit y avoir de grandes lacunes dans notre savoir. Voici un faisceau de rayons solaires, c’est-à-dire de l’énergie de toute sorte qui nous vient du soleil, à travers l’espace ou le milieu semi-matériel dont nous sommes forcés de supposer l’existence. Nous faisons passer ces rayons à travers un prisme ; ils se dispersent et forment le spectre lumineux. Mais ce faisceau, nous le savons, contenait aussi des vibrations d’une fréquence plus grande et d’autres d’une fréquence moins grande que celle des rayons lumineux. En deçà des rayons rouges, il y a des rayons caloriques ; et au delà des rayons violets, les ultraviolets, accusés par l’action chimique, les corps phosphorescents, etc. Pouvons-nous affirmer qu’il n’y a pas de vibrations

  1. Notons, pour éviter tout malentendu, que la conservation de l’énergie et celle de la masse ne deviendraient pas pour cela strictement analogues, l’énergie ne pouvant pas être conçue comme la propriété d’un corps (cf. plus bas, p. 191). Notre observation ne porte que sur la condition d’isolement.
  2. Helmholtz. Wissenschaftliche Abhandlungen. Leipzig, 1832, I, p. 67.