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Page:Meyerson - Identité et réalité, 1908.djvu/267

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changer de plus en plus dans un sens déterminé[1]. » Le monde marche vers une fin, bien que celle-ci puisse nous paraître infiniment éloignée.

Nous avons vu que les principes de conservation présentent ce caractère commun d’être quelquefois pressentis par notre entendement et toujours facilement accueillis par lui. On ne sera pas surpris de constater que le principe de Carnot, qui en est la contre-partie, ne participe nullement à cette « plausibilité ». La science l’a certainement accepté avec beaucoup de difficulté. Il est déjà étrange de remarquer combien ce principe a paru tardivement. Sans doute, la conservation de la matière est, en soi, un énoncé fort simple. Mais, enfin, elle affirme une chose qui, à première vue, semble contraire à un grand nombre de phénomènes que nous observons sans cesse, tels que l’ébullition ou la combustion. L’inertie est une conception paradoxale et, d’ailleurs, nullement confirmée par l’expérience directe. Mais si, à la rigueur, on comprend que ces deux principes aient été formulés avant celui de Carnot, il est, à première vue, très difficile de s’expliquer l’antériorité du principe de la conservation de l’énergie, proposition compliquée, à peu près impossible même à formuler dans certains cas. Le fondement du principe de Carnot, l’axiome de Clausius : la chaleur passe d’un corps chaud à un corps froid et non en sens inverse, constitue au contraire un énoncé simple qui résume un nombre infini d’observations que nous faisons à tout instant. Sa place réelle, nous l’avons vu, est tout au commencement de la physique de la chaleur. Pourtant, la conservation de l’énergie, pressentie par Descartes, est énoncée, quoique sous une forme très hypothétique, dès la fin du xviie siècle, par Huygens et Leibniz. Ce n’est que plus d’un siècle plus tard que Sadi Carnot formulait son principe et il fallut attendre trente ans encore pour que son importance commençât à être reconnue.

Nulle part, avant Carnot, nous ne trouvons un véritable pressentiment de son principe ; tout au plus pourrait-on citer des analogies lointaines. Ce qu’il y a de plus connu et aussi de plus important dans cet ordre d’idées, ce sont les passages où Héraclite proclame le πάντα ῥεῖ, le flux éternel des choses. « Héraclite dit que tout passe et que rien ne subsiste, et, comparant les choses au courant d’un fleuve, il prétend que l’on n’entre pas

  1. R. Clausius. Le second principe fondamental de la théorie mécanique de la chaleur. Revue des cours scientifiques, 1868, p. 158.