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Page:Meyerson - Identité et réalité, 1908.djvu/299

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surplus, analysons au point de vue du principe d’identité les diverses hypothèses qui ont été formulées au sujet du mode d’action des corps. Ce que nous appelons force, c’est la faculté que nous attribuons à un corps d’en mouvoir un autre. Tant que cette faculté dans l’atome dynamique n’a pas à s’exercer, qu’elle reste en quelque sorte une conception abstraite, et que nous nous la représentons vaguement sous l’espèce de droites divergentes ou d’un fluide qui s’épand sur des surfaces sphériques de plus en plus grandes, nous n’éprouvons pas encore trop d’embarras. Mais quand, la force atteignant enfin un corps étranger, ce dernier doit se mettre en mouvement, notre imagination se révolte. En effet, ce qui a émané du premier corps et a voyagé, traversé l’espace, pour atteindre le second, n’était certainement pas un mouvement, l’hypothèse dynamique nous interdit expressément de le concevoir comme tel ; et pourtant dès que le second corps a été atteint, cela s’est manifesté comme mouvement. Il y a donc eu là une transformation incompréhensible, un manque d’identité, c’est-à-dire qu’il n’y a plus d’explication.

À ce point de vue, le concept de l’action par contact paraît, au premier abord, plus satisfaisant. Le corps moteur était lui-même en mouvement, il n’a fait que communiquer ce mouvement à un autre corps ; il semble donc que l’identité ait été maintenue et que quelque chose, le mouvement, se soit simplement déplacé, passant du premier corps au second : c’est, en somme, le mouvement considéré comme substance, ce qui est la conception d’où découle le principe d’inertie. Mais à mesure que nous approfondissons ce concept, nous le voyons se dérober à notre imagination. Il ne saurait y avoir de mouvement sans substrat matériel, sans quelque chose qui se meut. Le mouvement n’a rien d’une substance, et c’est tout au plus si nous pouvons le considérer comme un état. À supposer que nous acceptions ce dernier concept, que nous considérions que cet état doive durer indéfiniment, ainsi que l’exige le principe d’inertie, comment pourrait-il se détacher d’un corps pour s’attacher à un autre ? Il faudrait, comme l’a très justement remarqué Lotze[1] qu’entre les deux cet état existât un moment (infiniment court si l’on veut) en soi, comme une véritable substance, ce qui est absurde. Mais il n’est pas possible de supposer que cette transmission n’exige

  1. H. Lotze. Grundzuege der Naturphilosophie, 2e éd. Leipzig, 1889, p. 17.