Page:Meyerson - Identité et réalité, 1908.djvu/390

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

faces d’une seule : la sensation et l’action transitive. Afin d’expliquer cette double énigme qui constitue apparemment le fin fond de la nature, il nous faudrait comprendre la causalité efficiente, la « communication des substances » ; or, nous savons qu’elle est inaccessible à notre entendement, « irrationnelle ». On a affirmé le contraire : c’est qu’on la confondait avec la causalité scientifique, qui est tout autre chose, qui est l’identité et qui constitue au contraire l’essence de notre entendement. On a voulu, d’autre part, exclure cette causalité scientifique même du domaine de la science : c’est que l’on commettait la même méprise en sens contraire, que l’on assimilait la causalité scientifique à la causalité efficiente. La première erreur est celle de Descartes et de Spinoza, la seconde celle de Berkeley et de Comte. Les premiers ont cru à l’universelle intelligibilité, alors que les derniers, limitant la science à la loi, affirmaient par là que l’intelligibilité ne devait en rien intervenir dans la science ou, en d’autres termes, que rien n’était intelligible.

La véritable voie a été indiquée par Kant : Il y a bien accord entre notre entendement et la réalité, mais cet accord est partiel, puisque, en fin de compte, nous nous heurtons aux contradictions que nous appelons les antinomies. La réalité est partiellement intelligible et notre savoir scientifique est mêlé d’éléments aprioriques et d’autres qui sont a posteriori.

Mais, quand il s’agit de séparer ces éléments les uns des autres, tâche que Kant s’est assignée dans deux œuvres admirables, les Premiers principes métaphysiques de la science de la nature et le traité De la transition des premiers principes métaphysiques de la science de la nature à la physique, nous ne pouvons plus suivre jusqu’au bout le grand philosophe. Nous avons mentionné plus haut quelques-uns des résultats auxquels il parvient : ils indiquent nettement qu’il a dû faire en général à la déduction une trop large part. C’est ainsi qu’en parlant de la conservation de la matière il dit : « On emprunte à la métaphysique générale ce principe qu’on prend pour base : que dans tous les changements de la nature aucune substance ne se perd ni ne se crée. Ici on ne fait qu’exposer ce qui est substance dans la matière[1]. ». C’est là, en effet, nous l’avons vu, le véritable fondement de ce principe. Mais, pour Kant, la dernière partie de sa proposition est également

  1. Kant. Premiers principes, trad. Andler et Chavannes, p. 74.