Page:Meyerson - Identité et réalité, 1908.djvu/41

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cédente, car la nature entière n’étant, par postulat, qu’un enchaînement de causes et d’effets et la somme des seconds devant toujours égaler l’ensemble des premières, il n’y a de place nulle part pour une création ni pour une disparition.

Par contre, il appert que le postulat de causalité ne se confond nullement avec celui de légalité. C’est ce qu’une analyse plus approfondie ne fera que confirmer.

En posant l’existence de règles, nous postulons évidemment qu’elles sont connaissables. Une loi de la nature que nous ignorons n’existe pas, au sens le plus rigoureux du terme. Certes, la nature nous apparaît ordonnée. Chaque découverte nouvelle, chaque prévision réalisée nous confirment dans cette opinion. C’est au point que la nature elle-même paraît proclamer sa propre ordonnance, l’idée en semble pénétrer dans notre esprit du dehors sans que nous ayons fait autre chose que de la recevoir passivement : l’ordonnance finit par apparaître comme un fait purement empirique, et les lois formulées par nous comme quelque chose appartenant à la nature, comme les lois de la nature, indépendantes de notre entendement. C’est oublier que nous étions convaincus d’avance de cette ordonnance, de l’existence de ces lois ; tous les actes de notre vie quotidienne en témoignent. C’est oublier aussi comment nous sommes parvenus à ces lois. Nous avons observé des phénomènes particuliers et proprement uniques ; nous en avons formé des concepts généraux et abstraits, et nos lois en réalité ne s’appliquent qu’à ces derniers. La loi qui régit l’action du levier n’envisage que le « levier mathématique » ; or, nous savons fort bien que nous ne rencontrerons jamais rien de pareil dans la nature. De même nous n’y rencontrerons jamais les « gaz idéaux » de la physique ni les cristaux tels que nous les montrent les modèles cristallographiques. Mais, même lorsque nous affirmons que « le soufre » a telle ou telle propriété, nous ne pensons pas à tel morceau particulier de la matière jaune bien connue. Tantôt ce que nous affirmons s’applique à une sorte de moyenne des morceaux qu’on est susceptible de rencontrer dans le commerce, et tantôt même (quand nous disons « le soufre pur ») à une matière quasi-idéale, dont nous ne pourrons nous approcher qu’à la suite d’opérations multiples ; les qualités d’un morceau de soufre pris au hasard peuvent s’écarter considérablement de celles de la matière en question. On connaît l’ensemble formidable de travaux auxquels Stas a dû se livrer