Page:Meyerson - Identité et réalité, 1908.djvu/69

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festement et constamment les secondes aux premières. M. Duhem nous fournit d’excellents exemples de cette subordination[1]. Ainsi, quand l’optique range les phénomènes du prisme et de l’arc-en-ciel dans la même catégorie, alors que les anneaux de Newton sont classés avec les franges d’interférence de Young et de Fresnel, ou quand la biologie traite la vessie natatoire des poissons comme homologue au poumon des mammifères, l’une et l’autre de ces sciences obéissent à des considérations de pure théorie, à des conceptions hypothétiques. Le physicien, soit qu’il ramène tout à la mécanique, soit que, adoptant un ordre d’idées plus récent, il considère au contraire comme fondamentaux les phénomènes électriques, a implicitement la prétention de nous expliquer la nature à l’aide de sa théorie. Et l’anomalie la plus flagrante qu’on découvrira dans l’application d’une loi (par exemple le phénomène de Gouy à l’égard de l’impossibilité du mouvement perpétuel) paraîtra expliquée dès que la théorie pourra en rendre compte.

Telle est, incontestablement, la pratique des savants. Mais s’ensuit-il qu’elle soit juste ? Nous avons coutume de traiter d’erronées les voies qu’à certaines époques la science a suivies, par exemple quand elle cherchait à expliquer les phénomènes à l’aide de qualités substantielles. Ne se peut-il pas qu’il y ait dans cette tendance de la science à édifier des théories explicatives, tendance dont on ne saurait nier la réalité, une propension vicieuse et dont il conviendrait de la garder dans la mesure du possible ? Nous avons vu que c’était là l’avis de Comte ; M. Mach, au fond, n’est pas loin d’être d’accord avec lui. M. Duhem aussi estime que les savants ont été et sont encore victimes d’une illusion, pareille à celle qui faisait entrevoir aux explorateurs espagnols le fabuleux Eldorado. La recherche de l’explication n’est pas le fil d’Ariane susceptible de nous guider dans le labyrinthe des phénomènes ; la partie explicative de la science n’est qu’une excroissance parasite[2].

Pour essayer de trancher cette question, examinons d’abord les théories scientifiques en elles-mêmes. C’est une tâche dont l’accomplissement est grandement facilité par les travaux remarquables qui ont été consacrés à ce sujet, et au nombre

  1. P. Duhem. Ib., p. 33, 35.
  2. Ib., p. 46-47.