Page:Meyerson - Réel et déterminisme dans la physique quantique.pdf/11

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point qu’elle semblait aller presque de soi, que l’on ne concevait, pour ainsi dire, qu’il pût y en avoir une autre.

En effet, le positivisme repose essentiellement sur ce postulat, déjà implicitement contenu dans la conception de Bacon, que la science n’a en vue et ne saurait avoir en vue que l’action : scientia propter potentiam, comme l’a formulé Hobbes. Il en résulte non seulement — ce qui est juste et le demeure quand on abandonne, comme nous le faisons, les principes positivistes — que la science repose sur la prévision, mais qu’en outre elle ne doit chercher rien d’autre : une fois le cours du phénomène parfaitement connu, déterminé, la tâche du savant est accomplie, il n’a rien à trouver au delà de cette donnée positive, et tout ce qui dépasserait les limites de ce schéma doit être rejeté de la science comme non seulement inutile, mais comme directement nuisible. La science n’est donc autre chose qu’un ensemble de lois, les théories n’étant que des excroissances parasites ou, tout au plus, des échafaudages destinés à disparaître ultérieurement et dont le seul but est d’aider à l’établissement de nouvelles lois. Nous nous sommes appliqué, dès notre premier livre, à faire ressortir combien peu ce schéma correspond au facies véritable de la science, que ce soit avant ou après Auguste Comte. Il n’en est pas moins vrai que, par sa clarté et sa simplicité, ainsi que par le fait qu’elle flatte subtilement l’amour-propre légitime du physicien — en faisant apparaître son domaine comme à la fois isolé du reste du savoir et comme néanmoins devant fournir les normes de la pensée juste — cette conception a paru infiniment séduisante. Elle a, on peut dire, pénétré l’intellectualité entière de l’homme de nos jours, et ses conséquences se font sentir même chez des hommes qui professent en toute sincérité des principes contraires.

Tel est le cas, en particulier, de M. Planck. En effet, comme on sait, ce dernier s’est vivement élevé contre la manière de voir positiviste que cherchait à faire prévaloir le penseur qui a le plus puissamment contribué à développer l’épistémologie comtienne et à en assurer la victoire (tout en se gardant bien, il faut le dire, d’évoquer le nom du fondateur) : nous avons nommé Mach. Car Mach, à un moment où la physique, par un tournant significatif, introduisait l’atomisme dans un domaine où il n’avait pu pénétrer auparavant, a protesté violemment contre cette évolution, en affirmant qu’il y avait là une véritable régression et que la science