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même de la notion. Cela résulte de cette considération primordiale qu’il s’agit d’une sensation et que la sensation ne peut être conçue comme permanente : semper idem sentire et non sentire idem est[1], a dit Hobbes. Mais n’est-il pas clair, par ailleurs, que l’effort est lié au vouloir, et que celui-ci, à son tour, inclut la notion du libre arbitre ? L’effort constant constitue donc une notion contradictoire en elle-même.

Comment se fait-il que cette absurdité ait été, néanmoins, agréée, et que la notion de force ait pu être adoptée par la science ? La réponse est simple : c’est parce que, ainsi constitué, l’être purement paradoxal qu’est la force a pu servir à expliquer les phénomènes. Car le besoin d’explication, impérieux et incessant, est en nous, et commande tous nos raisonnements.

Or, nous le savons, toute explication se ramène immanquablement à un schéma unique, celui d’identité. La force ne pourra donc expliquer qu’en tant qu’elle sera conçue comme identique à elle-même, et, en premier lieu, comme identique, constante dans le temps.

Ainsi, la notion de force, vue sous cet angle, c’est le sentiment de l’effort, moins la variabilité, ou, ce qui revient au même, plus la permanence de cet effort. Et il est clair que la force n’eût pu acquérir de l’objectivité, de la réalité si on ne l’avait auparavant dotée de permanence.

Cela deviendra plus clair encore si, maintenant, nous considérons la particule de la théorie corpusculaire. L’atome n’est plus de la matière telle que la connaît notre perception, c’est de la matière sublimée, de la matière à laquelle on a enlevé certaines de ses caractéristiques.

Or, il est manifeste que l’opération par laquelle on effectue cette transformation est analogue à celle que subit la notion de l’effort : cette fois-ci encore, on a enlevé un élément (ou des éléments) de variété. Car l’objet réel est toujours divers, et nous nous déclarons même assurés a priori, en vertu du principe des indiscernables, qu’il est d’une diversité proprement infinie. Alors que les particules des théories scientifiques — molécules, atomes, sous-atomes, corpuscules — si elles sont de même espèce, sont censées être exactement pareilles les unes aux autres. L’on a dit qu’elles ressemblaient non pas à des êtres formés par la nature, mais à ceux façonnés par la main de l’homme. Mais il faudrait, à vrai dire, aller plus loin

  1. Traduction : Sentir toujours la même chose et ne pas sentir, c’est la même chose.