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sique, alors que cependant, l’homme de nos jours voit — à juste titre — dans le savoir scientifique l’acquis le plus solide et le plus précis de son intellect. Et c’est bien Kant qui, ici, nous indique la possibilité d’une issue. Il nous apprend en effet, que nous pouvons être amenés à conclure à l’existence de ce dont l’essence nous demeure cachée.

Il est d’ailleurs aisé de se convaincre qu’à l’encontre de ce raisonnement implicite dont nous venons de parler, la pensée véritable du physicien, celle qui naît en lui spontanément à la vue des phénomènes, donne, sur ce point, raison à Kant. Demandez à un électricien ce que c’est que ce courant qu’il manie avec tant de dextérité il vous répondra nécessairement qu’il ne saurait vous l’expliquer. Si vous le poussez un peu, et s’il s’agit d’un homme qui a réfléchi sur les fondements de son savoir, il vous dira même probablement que vous n’avez pas le droit de lui poser cette question, ni de faire valoir des objections telles que « on ne sait pas ce que c’est que l’électricité », les formules mathématiques devant suffire en l’occasion. En d’autres termes, il affirmera que votre question était illégitime, « mal posée ». Mais il est presque inutile de faire ressortir que ce n’est pas là un véritable argument ; ce n’est qu’une échappatoire ou une fin de non-recevoir, indiquant que l’on ne peut ou ne veut pas répondre à la question. Bien entendu, le positivisme justifie pleinement une telle manière de voir, et l’on pourrait donc prétendre que ce qui se manifeste chez l’électricien dans ce cas, c’est tout simplement un attachement ferme aux principes de cette épistémologie, la conviction que la science ne doit rien rechercher qui aille au delà de la règle d’action pure et simple. Mais il suffit d’y prendre garde pour se convaincre que ce contre quoi l’électricien proteste concerne uniquement l’essence. Il doute aussi peu de la persistance de ce courant quand il a cessé d’avoir sous les yeux le galvanomètre, qu’il doute de celle de la table quand il détournera tête (I. R., p. 422). C’est donc bien qu’il croit à l’existence là où cependant il est obligé d’avouer qu’il ignore l’essence.

On peut même affirmer que le scepticisme en ce qui concerne la vérité de l’image que la théorie scientifique fournissait du réel, était en certain sens familier aux physiciens : c’est en effet sur cette constatation que reposait certainement, en grande partie, la foi en le schéma positiviste, ou du moins en la nécessité d’un langage purement phénoméniste. Puisqu’on ne pouvait dire ce qu’était le