Page:Meyerson - Réel et déterminisme dans la physique quantique.pdf/46

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contraint par les considérations que nous avons fait valoir, la légalité, étant effectivement issue de la causalité, perd sa rigidité, et devient, tout comme chez M. Schlick, un principe régissant la raison, mais non le réel. Ainsi la supposition d’une parenté intime des deux principes, que nous avions écartés autrefois, devient bien moins malaisée à agréer. On reconnaît aisément que dès lors, l’indéterminé quantique fera figure d’un irrationnel, mais d’un irrationnel d’un genre nouveau, plus profond en quelque sorte que ceux dont nous avions relevé l’existence, puisqu’il se rapportera au légal, lequel pouvait se concevoir, jusqu’à ce jour, comme une caractéristique essentielle du réel lui-même.

Pour se rendre compte de la portée de l’évolution que l’on impose ainsi à l’entendement scientifique, il suffit de constater que le doute concernant le réel, que le physicien, avant les quanta, pouvait (et devait même) concevoir, ne pouvait porter nulle atteinte à la précision de ses formules, alors qu’à l’heure actuelle, tout au contraire, c’est justement cette précision qui trouve une limite, laquelle semble infranchissable, dans l’existence du quantum d’action. Ce que nous venons d’exposer au sujet de l’essence de l’irrationnel nouveau explique d’ailleurs suffisamment pourquoi il doit en être ainsi. La formule mathématique exprime un rapport entre des grandeurs qui ont été, nécessairement, par une opération préalable ou pour une série de telles opérations, dépouillées de tout caractère qualitatif. Si, de ce squelette abstrait, on entend retourner vers le réel, c’est-à-dire si l’on cherche à transformer ce mathématique en physique, il faut y ajouter l’interprétation, et ce n’est que par cette interprétation également que la théorie devient explicative. C’est ce qui fait que les doutes du physicien mécaniste, si graves qu’ils fussent, s’arrêtaient au seuil de l’appareil mathématique. Mais le nouvel irrationnel, se rapportant au légal, à la détermination du phénomène, trouve forcément son expression dans la formule même. Ce n’est là, sans doute, qu’un aspect un peu différent de ce que nous venons d’exposer, mais il nous fait peut-être mieux comprendre pourquoi le physicien, comme nous l’avons dit tout à l’heure, est porté à s’exagérer plutôt l’importance du sacrifice que cette conception lui impose.

En effet, considéré au point de vue philosophique, l’obstacle auquel se heurte ici l’intellection du réel apparaît certainement plutôt moins grave que celui qui empêchait l’atomiste de naguère