Page:Michaud - Biographie universelle ancienne et moderne - 1811 - Tome 1.djvu/43

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bles aux charmes de la mélodie ne pouvaient vous refuser leur admiration. Comme la plupart de vos vers chantaient nos amours, mon nom fut bientôt connu par le vôtre. Les sociétés particulières et les assemblées publiques ne retentissaient que du nom d’Heloïse. Les femmes enviaient mon bonheur. » Nous remarquerons ici, en passant, que le savant abbé Dubos s’est trompé, en disant que les cbansons d’Abailard ont été faites en français. La langue française était alors tout-à-fait au berceau, et son rhythme se prêtait peu à la douceur du chant. Abailard dit lui-mème qu’il ne pouvait souffrir les jargons populaires ; et enfin l’éditeur des Poésies du roi de Navarre, page 206, dit positivement qu’il a vainement cherché ces pretendues chansons françaises. « Je n’en ai rencontré aucune, ajoute-t-il, et tout ce qu’on a dit à ce sujet est sans fondement. » (V. S. Bernard.) De tous les vers amoureux que produisit la muse d’Abailard, aucun n’a échappé aux rigueurs de l’oubli. Seulement à la un de sa seconde lettre à Héloïse, on en lit deux qui se ressentent de la piété dans laquelle il cherchait alors des consolations. Les voici :

Vive, vale, vivantque tuæ, valeantque sorores,
Vivite, sed Chrsto, quæso mei memores.

Fulbert n’apprit que le dernier les dérèglements de sa nièce, et il l’apprit par les chansons qui couraient la ville. Il essaya d’y mettre ordre en séparant les deux amants ; il n’était plus temps. Héloïse portait dans son sein le fruit de sa faiblesse. Abailard l’enleva, la conduisit en Bretagne, où elle accoucha d’un fils que son père nomma Astralabe (Astre Brillant). Il ne vécut pas long-temps. Abailard songeait alors à l’épouser en secret. Il en fit faire la proposition à Fulbert, qui l’accepta, ne pouvant faire mieux ; mais Héloïse n’y consentit qu’avec peine, disant, dans son délire passionné, qu’elle aimait mieux être sa maîtresse que sa femme. Cependant le mariage se fit ; et pour le cacher au public, Héloïse alla demeurer chez son oncle ; Abailard reprit son ancien appartement, et continua ses leçons ; ils se voyaient rarement. Fulbert, mécontent de ce mystère qui compromettait l’honneur de sa nièce, le divulgua. Mais Héloïse, à qui la prétendue gloire d’Abailard était plus chère que son honneur, nia le mariage avec serment. Fulbert, très irrité, la maltraita ; et, pour la soustraire à sa tyrannie, Abailard l’enleva une seconde fois, et la mit au couvent d’Argenteuil. Fulbert, croyant qu’il voulait la forcer de se faire religieuse, conçut un projet de vengeance atroce, et l’exécuta. Des gens apostés par lui, entrèrent de nuit dans la chambre d’Abailard, et tandis que quatre de ces misérables le retenaient par les bras et par les jambes, un cinquième, armé d’un rasoir, lui fit subir une mutilation infâme, dont la trace et l’effet devaient empoisonner le reste de ses jours. Le lendemain, toute la ville apprit cet attentat, et en fut indignée. Fulbert fut décrété, dépouillé de ses bénéfices et exilé ; deux de ses gens furent arrêtés, et subirent la peine du talion. Ces actes de justice ne consolèrent point le malheureux Abailard. Il alla cacher ses larmes et sa honte dans l’abbaye de Saint-Denis, où il se fit religieux. De son côté, Héloïse, non moins désespérée, prit le voile à Argenteuil. Lorsque le temps eut adouci les chagrins d’Abailard, il consentit à reprendre ses leçons. Il ne tarda pas à retrouver de nombreux élèves, et avec eux des envieux de son mérite. Soit zèle pour la religion,