Page:Michaud - Biographie universelle ancienne et moderne - 1811 - Tome 1.djvu/46

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convaincre que de terrasser leurs adversaires. Abailard sortit presque toujours triomphant de ces sortes de combats, et tant de victoires fixèrent sur lui l’attention de l’Europe. On peut lui reprocher, avec raison, cette opiniâtreté et cette présomption que devaient lui donner les nombreux succès de l’école. Sa passion pour Aristote lui fit commettre quelques erreurs dans le dogme ; il soutenait entre autres propositions peu orthodoxes, que la foi doit être dirigée par la lumière naturelle ; que J.-C. n’est pas venu pour nous délivrer de la captivité du démon, mais seulement pour nous attacher à lui par ses instructions, ses exemples, et surtout par l’amour qu’il nous a témoigné dans sa passion ; que plusieurs philosophes anciens avaient cru au Messie par la prédiction des Sibylles, et qu’on ne doit pas désespérer de leur salut. Si la doctrine d’Abailard ne fut pas toujours irréprochable, sa conduite fut souvent un sujet de scandale ; mais telle est l’indulgence du cœur humain pour les faibiesses de l’amour, qu’Abailard doit aujourd’hui une grande partie de sa renommée à ces faiblesses qui le condamnent aux yeux de la morale et de la religion ; ses amours et les malheurs qui en furent la suite, défendront toujours son nom de l’oubli des hommes, et la philosophie austère aura long-temps à s’étonner de voir la postérité célébrer, comme un héros de roman, celui que son siècle admirait comme un profond théologien. Pope a montré, dans le siècle dernier, que le nom d’Abailard appartenait à la poésie bien plus qu’à l’histoire et à la religion. Sa fameuse lettre d’Héloïse produisit la plus grande sensation en Europe ; le prestige des beaux vers ajouta à l’intérêt qu’on portait aux illustres amants. Le poète anglais eut plusieurs imitateurs parmi les français. Colardeau est le seul qui mérite aujourd’hui d’être cité. Abailard fut d’abord enseveli au prieuré de St.-Marcel ; mais, sur la demande d’Héloïse, ses restes furent transportés au Paraclet. Ils ont subi plusieurs translations, et, comme s’il eût été dans la destinée d’Abailard de ne trouver le repos ni pendant sa vie ni après sa mort, ses ossements et ceux d’Héloïse ont été transportés, en 1800, à Paris, où ils sont déposés au Musée des Monuments français. La religion n’a point présidé à cette dernière cérémonie. Les œuvres d’Abailard et d’Héloïse ont été recueillies et imprimées sous ce titre : Petri Abælardi et Heloïsæ conjugis ejus opera, nunc primum edita ex Mss. codd. Francisci Amboesii. Paris, 1616, in-4º. Au frontispice d’une partie des exemplaires l’édition est attribuée aux soins d’André Duchesne (Andreæ Quercetani) qui est en effet l’auteur des notes. Quelques exemplaires portent la date de 1606, d’autres la date de 1626. On y trouve des Lettres (dont la 1re. contient le récit de ses malheurs ; les 3e. 5e. 7e. et 8e. sont adressées à Héloïse, d’autres aux religieuses du Paraclet ; etc.) ; des Traités moraux et dogmatiques, parmi lesquels des sermons au nombre de trente-deux. L’Hexameron in Genesim d’Abailard est imprimé dans le tome III du Trésor des Anecdotes de Martène. Dom Gervaise donna, en 1720, la Vie de Pierre Abailard et celle d’Héloïse son épouse, 2 vol. in-12 ; et en 1725 une traduction de leur correspondance, sous le titre de Véritables Lettres d’Abailard et d’Héloïse, avec le texte latin à côté, 2 vol. in-12. Parmi les nombreuses éditions de ces lettres on doit distinguer celle de 1782, 2 vol. in-12, corrigée