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ADD

posés à s’occuper de sa fortune, et cette circonstance développa peut-être en lui les germes de l’ambition qui devait le conduire à des honneurs pour lesquels il ne paraissait pas né. En 1695, il adressa un poëme au roi Guillaume, qui n’avait aucun goût pour la littérature ni pour les arts, mais qui avait le sens assez droit pour estimer tout ce qui portait un caractère de supériorité d’esprit, et qui, sur la foi de ses ministres, plus éclairés que lui, n’eut pas de peine à accorder quelque encouragement à un jeune homme d’une si grande espérance. Addison témoigna le désir de voyager, et il obtint, pour cet objet, une pension de 300 livres sterling. Il passa en France, et s’arrêta une année entière à Blois, vraisemblablement pour y apprendre la langue du pays. Il traversa ensuite le royaume pour aller en Italie, l’objet principal de son voyage. Dans un court séjour qu’il fit à Paris, il vit Boileau, à qui il présenta un exemplaire de ses poésies latines. On prétend que Boileau, après les avoir lues, dit à l’auteur que, s’il les avait connues plus tôt, il n’aurait pas écrit contre Perrault, parce qu’il les trouvait dignes d’être comparées aux plus beaux ouvrages de l’antiquité. Cette anecdote a peu de vraisemblance : Boileau, recevant d’un étranger un témoignage d’estime, ne pouvait se dispenser d’y répondre avec politesse et de louer, peut-être avec un peu d’exagération, les poëmes dont Addison lui faisait hommage ; mais il est difficile de croire qu’il les ait comparés aux écrits de Virgile ou d’Horace, quand on se rappelle le peu de cas qu’il faisait de la latinité des poëtes modernes. On conçoit plus aisément qu’un compatriote d’Addison, M. Smith, n’ait pas craint d’appeler son poëme sur la paix de Riswick, le meilleur poëme latin qui ait paru depuis l’Ènéide. Il faut convenir cependant que la latinité d’Addison a un caractère d’originalité qui la distingue, et qu’il s’était formé un style d’après l’esprit général de la langue latine, et non d’après l’étude et l’imitation d’un auteur particulier, comme on l’a remarqué de la plupart des poëtes et même des prosateurs qui ont écrit en latin depuis la renaissance des lettres. Addison vit l’Italie plus en poëte qu’en observateur politique ou moral, si l’on en juge par la relation de son voyage, où il rappelle avec complaisance tous les passages des auteurs classiques qui peuvent s’appliquer aux lieux qu’il parcorut et aux objets qui le frappent ; mais, sous ce rapport même, son voyage est particulièrement intéressant, et instructif : on en a fait plusieurs éditions en Angleterre, et il a été traduit en français. Pendant son absence, il s’était fait de grands changements dans le ministère ; ses protecteurs, Montagne et Somers avaient perdu leurs places. Sa pension ne lui étant plus payée en Italie, il fut réduit, pour être en état de continuer son voyage et de revenir, à se charger de ramener en Angleterre un jeune Anglais qui avait perdu son gouverneur en Italie. De retour à Londres, il se trouva dans un état de dénûment assez pénible, mais qui ne fut pas de longue durée. La bataille de Blenheim vint enivrer de joie la nation, en 1704. Les poëtes médiocres s’empressèrent à l’envi, comme c’est l’usage, de célébrer cette victoire. Le lord Godolphin se plaignit un jour au lord Halifax de ce que ce glorieux événement n’était pas célébré comme il devait l’être, et témoigna le désir qu’une si noble tâche fût confiée à quelque grand poëte. Halifax lui répondit que le génie ne trouvait pas d’encouragements, tandis qu’on prodiguait le revenu public à des hommes sans mérite, en négligeant cent dont les talents pouvaient être employés d’une manière honorable pour leur pays. Godolphin convint du fait, et promit des récompenses distingués pour le poëte qui chanterait le plus dignement le triomphe national à Blenheinn. Halifax nomma alors Addison, mais exigea, en même temps, que Godolphin vit lui-même cet écrivain, et lui proposait le travail dont il voulait le charger. Cela fut exécuté, et Addison n’avait pas encore achevé son poëme, que, pour récompense de son zèle, il obtint la place de commissaire des appels, que quittait le célèbre Locke. En 1705, il accompagna lord Halifax à Hanovre ; l’année suivante, il fut fait sous-secrétaire d’État. Il s’établit alors à Londres un opéra italien, qui excita une grande division dans toutes les classes de la société. Cette nouvelle musique était encouragée dans le grand monde, par air plus encore que par goût ; mais elle déplaisait aux oreilles qui n’y étaient point accoutumées, et choquait surtout les préventions naturelles du peuple anglais contre tout ce qui est étranger. Au milieu de cette effervescence des esprits, Addison tenta de faire entendre un drame musical en langue anglaise. Il composa l’opéra de Rosamonde, sagement conduit et élégamment écrit ; mais, soit que la musique en fu mauvaise, ou que l’action manquât d’intérêt, l’opéra n’eut aucun succès au théâtre. L’auteur, persuadé que l’ouvrage serait mieux jugé à la lecture, le fit imprimé, et le dédia à la duchesse de Marlborough, femme intrigante, généralement haïe, qui n’avait aucun goût pour la littérature, et n’en avait pas même la prétention. Cette dédicace fit peu d’honneur au caractère d’Addison. Le marquis de Warton ayant été nommé vice-roi d’Irlande, Addison le suivit comme secrétaire du gouvernement, et fut en même temps nommé garde des archives de le tour de Birmingham, place à peu près sans fonctions avec un traitement de 300 livres sterling par an. C’était un contraste assez bizarre que l’association de deux caractères aussi différents que ceux de Warton et d’Addison : le premier était un jeune homme impie, débauché, non-seulement dépourvu de toute vertu, mais même affichant ouvertement tous les vices. Addison, au contraire, montrait dans toute sa conduite un grand respect pour la religion et pour la morale ; mais ils étaient l’un et l’autre des agents du même parti, et, à cette époque, l’esprit de parti était en Angleterre, à son plus haut degré d’effervescence. C’est pendant son séjour en Irlande que Steele, avec qui il était uni d’amitié dès l’enfance conçut le projet d’une feuille périodique d’un genre nouveau, à laquelle il donna le titre de Tattler (le Babillard). Il n’avait point communiqué son secret à Addison, qui cependant ne tarda pas à reconnaître l’auteur, et s’associa bientôt à l’entreprise. Le Babillard ne fut continué