Page:Michaud - Biographie universelle ancienne et moderne - 1843 - Tome 1.djvu/232

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
216
AGA

réciproquement d’otages ; puis, mettant à la voile avec soixante galères, il trompe la vigilance des assiégeant qui le poursuivent, remporte une victoire navale, débarque en Afrique, et brûle ses vaisseaux, pour ne laisser à ses soldats d’autres ressources que la victoire. La nouvelle de ce débarquement jeta la consternation dans Carthage : cette république n’avait point d’armée a opposer aux Syracusains ; mais les Carthaginois ayant tous pris les armes, 40,000 hommes marchèrent contre Agathocles et furent défaits par la trahison de Bomilcar, qui laissa tailler en pièces les troupes d’Hannon. Celui-ci périt dans le combat. Rien alors ne s’opposa plus aux progrès d’Agathocles ; il réduisit sous son obéissance toutes les villes sujettes aux Carthaginois, et se prépara même à mettre le siége devant Carthage. Tous les peuples de la Libye, qui supportaient impatiemment le joug, se déclarèrent pour Agathocles, et Ophellas, roi des Cyrénéens, le joignit avec 20,000 hommes, sous la condition qu’il aurait toute l’Afrique, et Agathocles toute la Sicile ; mais, par la plus noire perfidie, le tyran de Syracuse, après avoir attiré Ophellas sous le voile de l’amitié, le fit tuer, et à force de promesses, engagea ses soldats, qui n’avaient plus de chef, à servir dans son armée. Prenant aussitôt le titre de roi d’Afrique, il investit Carthage, dans l’espoir de s’en emparer par famine. Cependant son audacieuse entreprise avait déjà sauvé Syracuse. Amilcar, qui avait reçu l’ordre de ramener son armée en Afrique, voulut, avant son départ, emporter la ville d’assaut. Comme il fut repoussé et fait prisonnier, les Syracusains lui coupèrent la tête et l’envoyèrent à Agathocles. Informé néanmoins qu’après la défaite des Carthaginois, plusieurs villes s’étaient liguées pour se soustraire à sa domination, le tyran de Syracuse jugea sa présence nécessaire en Sicile, et repassa la mer, laissant le commandement de l’armée d’Afrique a son fils Archagathe. Le bruit de ses victoires l’ayant précédé en Sicile, son arrivée subite répandit une telle frayeur, que tout rentra presque aussitôt sous son obéissance. Sans perdre de temps, il retourne en Afrique ; mais tout y avait déjà changé de face ; son fils Archagathe venait de perdre une bataille, et son armée, qui manquait de vivres, était sur le point de se révolter. Agathocles, au désespoir, attaqua le camp ennemi ; mais il est repoussé, et les Africains l’abandonnent après cet échec. Ne se trouvant plus en état de résister aux Carthaginois, et manquant de vaisseaux, il ne songe qu’a se sauver seul, avec quelques amis, et Héraclide le plus jeune de ses fils qu’il aimait tendrement ; mais son dessein est découvert, les soldats courent aux armes, se révoltent, se saisissent d’Agathocles et l’emprisonnent. L’armée une fois sans chef, tout n’est que confusion et désordre. Une terreur panique est semée de nuit dans le camp, Agathocles en profite pour s’évader et mettre à la voile, laissant ses deux fils exposés à la fureur des soldats, qui les massacrent, élisent d’autres chefs, et font la paix avec les Carthaginois. Diodore de Sicile observe qu’Agathocles perdit son armée et ses enfants le même mois et le même jour qu’il avait fait périr Ophellas. Malgré cette fuite honteuse, Agathocles, à peine débarqué en Sicile, marcha contre les Egestins qui s’étaient révoltes, prit leur ville d’assaut, et fit égorger les habitants sans distinction d’âge ni de sexe ; puis, tournant sa fureur contre tous ceux qui, par les liens du sang et de l’amitié, tenaient aux soldats d’Afrique qui venaient de massacrer deux de ses fils, il remplit Syracuse de carnage ; les enfants même ne furent point épargnés. Tant de cruautés ne firent qu’augmenter le nombre de ses ennemis, et la plupart se joignirent a Dinocrate qu’il avait banni de Syracuse. Effrayé de ce danger, Agathocles rechercha l’amitié des Carthaginois, et acheta la paix par la cession de toutes les places qu’ils avaient possédées autrefois en Sicile ; il envoya même des ambassadeurs à Dinocrate, pour lui offrir la souveraineté, moyennant deux forteresses qui pussent lui servir de retraite mais Dinocrate, dont l’armée était de 20,000 fantassins et de 3,000 chevaux, rejeta sa proposition. Agathocles l’attaqua aussitôt dans son camp, et remporte une victoire complète, quoiqu’il n’eût que 5,000 fantassins et 800 cavaliers ; les restes de l’armée vaincue mettent bas les armes, Agathocles leur ayant promis la vie ; mais, à peine sont-ils désarmés, qu’il les fait tous massacrer, à l’exception du seul Dinocrate, auquel il trouve une telle conformité avec lui, que, sans hésiter, il lui accorde son amitié et toute sa confiance. Agathocles passa ensuite en Italie, où il subjugua les Bruttiens ; plutôt par la terreur de son nom que par la force des armes ; puis il dévasta les îles Lipariennes ; et, pour compléter une contribution de 100 talents imposée aux insulaires, il pilla leur trésor sacré, et dépouilla leurs temples, revint à Syracuse, et essuya en mer une si violente tempête, que tous ses vaisseaux périrent, a l’exception de celui qu’il montait. Une mort plus terrible lui était réservée dans sa propre famille. Son petit-fils Archagathe, qu’il voulait écarter du trône pour en assurer la possession à Agathocles son fils, se révolta, fit périr son concurrent, et excita Ménon à empoisonner le tyran dont il était le favori, mais qui lui avait fait le plus sanglant outrage. Ménon trempa le cure-dent d’Agathocles dans un poison si subtil que, dès que ce prince s’en fut servi, ses dents et ses gencives se consumèrent ; tout son corps se couvrit de plaies, et ses souffrances devinrent si cruelles, que, pour s’en délivrer, il se fit porter vivant sur un bûcher auquel on mit le feu. Ainsi périt Agathocles, l’an 287 avant J.-C., à l’âge de 72 ans, après en avoir régné 28. Malgré le témoignage de l’histoire, le genre de sa mort a paru si extraordinaire, que quelques écrivains l’ont révoqué en doute. Agathocles, disent-ils, était alors septuagénaire ; ainsi le chagrin que lui causa la révolte d’Archagathe, et la mort de son fils, durent suffire pour abréger ses jours. Quoi qu’il en soit, la vie de ce tyran offre des traits apparents de modestie et de grandeur d’âme qui sembleraient peu compatibles avec ses vices et sa cruauté, si l’on ne savait que le cœur humain sait allier les contraires et réunir les extrêmes. Il se faisait gloire, par exemple, de son origine obscure ; et, parvenu au pouvoir suprême, il affecta de faire mêler des vases de terre aux vases d’or qu’on servait sur sa table, disant qu’il n’était pas