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Page:Michaud - Biographie universelle ancienne et moderne - 1843 - Tome 1.djvu/248

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AGN

tuné duc d’Orléans, « le plus bel chastel et joli, et le « mieux assis qui fut en toute l’isle de France, » avec la Marne à ses pieds, et tout près de là le parc de Vincennes, le coteau de Nogent et le monastère de St-Maur. Agnès prit le nom de dame de Beauté. Mais cette prospérité si constante jusqu’alors fut un instant altérée. Les courtisans jaloux, et le peuple qui ne voyait que ce luxe extraordinaire, renouvelèrent leurs murmures. On ajoute que la longue bonté de la reine s’épuisa au sujet d’un bruit qui courait alors à propos de « damoiselles « que la dame de Beauté tenoit auprès d’elle, et « qui, presque toutes à leur tout, devenoient maîtresses « du roy. » Le dauphin, qui n’ignorait pas que la favorite était loin de seconder ses projets, prit le parti des courtisans, du peuple et de sa mère. Un prétend même qu’il s’oublia jusqu’à frapper Agnès. Quoi qu’il en soit, elle se retira de la cour et alla passer quelque temps à son château de Loches, sa demeure de prédilection, où l’amour du roi sut bien la retrouver. Plusieurs fois il entreprit le voyage de Touraine pour la revoir, et montra que les obstacles étaient loin d’éteindre sa passion. Du reste, Agnès repartit à Paris dans la dernière semaine d’avril 1448, comme l’atteste le Journal d’un bourgeois de Paris. « Et pour ce que le peuple ne lui fit une telle « révérence comme son grand orgueil demandait, « que elle ne pot celler, elle dist au départir que ce « n’estoient que villains, et que si elle eut cuidé que « on ne lui enst pas fait plus grand honneur qu’on ne « lui fist, elle n’y eût jà entré ne mis le pié. Qui eust « été dommaige, ajoute méchamment le chroniqueur, « mais il eust été petit. Ainsi s’en alla la belle Agnès, « le dixième jour de may ensuivant, à son péché « comme devant. » Au commencement de l’année 1430, après la prise de Rouen et de Harfleur, elle fit un voyage a Jumiéges : elle allait là, affirment certaines chroniques, pour révéler au roi une conspiration tramée contre ses jours par le dauphin. Cette assertion n’est pas invraisemblable ; mais elle n’est point confirmée. Le plus profond silence règne sur cette prétendue conspiration. — Bussières pense que la révélation de ce projet, suivant lui douteux, ne fut qu’un prétexte, et que le vrai but de ce voyage était de rallumer l’amour dans le cœur du roi. Quelques jours après son arrivée au château de Mesnil-la-Belle, à quelque distance de l’abbaye de Jumiéges, Agnès tomba malade. « Alors, dit Jean Chartier, elle eut « moult belle contrition et repentance de ses péchés, « et lui souvenait souvent de Marie-Magdeleine qui « fut grande pécheresse au peché de la chair, et invoquoit « Dieu devotentent et la vierge Marie à son « et ayde, et comme vraie catholique, après la réception « des saints sacrements, demanda ses heures pour dire « les vers de St. Bernard qu’elle avoit écrits de sa propre « main, et depuis fit plusieurs vœux, lesquels furent « mis par écrit, afin de les accomplir par ses executeurs « avec son testament qui se pouvoit bien montrer, « tant pour aumônes comme pour payer ses « serviteurs, à la somme de soixante mille…  » Elle mourut le 9 février 143. On la crut empoisonnée. — D’injustes accusations furent dirigées contre Jacques Cœur, l’un de ses exécuteurs testamentaires ; le procès fut instruit, et l’accusatrice, Jeanne de Vendôme, convaincus d’imposture, se vit condamnée à faire amende honorable ; (Voy. Jacques Cœur.) D’autres rejetèrent le crime sur quelque courtisan désireux de plaire au dauphin ; mais l’on se garda bien d’aller aux preuves. (Voy. Louis XI.) Le corps d’Agnès fut transporté avec pompe a Loches, où on lui fit élever un tombeau magnifique. Ses entrailles et son cœur furent déposés à l’abbaye de Jumiéges. On a récemment retrouvé a Rouen son épitaphe sur une pierre tumulaire provenant des débris de l’abbaye : on y lit : « Cy gyst noble damoiselle « Agnès Seurelle, en son vivant dame de « Roquefure, d’Imouldun et de Vernon-sur-Seine, « piteuse entre toutes gens et qui largement donnoit « de ses biens aux églises et aux pauvres ; laquelle « trepassa le IX° jour de février MCCCCXLIX : « priez Dieu pour l’âme d’elle. Amen. » Le tombeau de Loches, placé au milieu du chœur de l’église collégiale du château, portait à peu près la même épitaphe. Dreux du Radier en a fait une longue description. Le coffre était de marbre noir élevé d’environ trois pieds, et dessus on voyait la figure d’Agnès en marbre blanc. Deux autours, ajoute-t-il, ou si l’on veut deux anges, tiennent l’oreiller sur lequel sa tête est posée, et elle a deux agneaux à ses pieds. On rapporte que les chanoines de Loches ayant proposé a Louis XI, pour flatter sa vieille haine contre Agnès, d’enlever ce tombeau comme un objet de scandale, il leur répondit : « J’y consens ; mais il faut rendre « auparavant ce que vous avez reçu d’elle. » Ni l’un ni l’autre de ces deux tombeaux n’avait échappe aux fureurs des iconoclastes de notre première révolution. ─ Pourtant on a pu en réunir des débris et celui de Loches a été complètement restauré. Peu de temps avant de mourir, la dame de Beauté avait donné le jour à une fille qui vécut seulement quelques mois ; mais elle avait eu auparavant trois autres enfants qui furent reconnues par Charles VII et par Louis XI, portèrent le titre de filles de France, et furent dotées et mariées aux frais de la couronne[1]. Malgré cette double sanction royale, quelques auteurs ont élevé des doutes sur la fidélité d’Agnès. Ce qu’il y a de certain, d’après des faits cités par Sauval, c’est qu’Étienne Chevalier ; un de ses exécuteurs testamentaires, trésorier du roi, ne fut pas sans sympathie pour elle, et que sa mort lui laissa de longs regrets. Quelque temps après l’avoir perdue, il se fit peindre avec un rouleau à la bouche, sur lequel on voyait un rébus en son honneur, ainsi conçu : Tant suivi d’une aile, vaut, et une selle, pour qui je, et enfin un mors. Tant elle vaut celle pour qui je meurt ! Il existait autrefois à Paris, rue de la Verrerie, suivant le même auteur, une maison habitée précédemment par Étienne Chevalier. Autour du cintre d’une petite porte qui

  1. L’une de ses filles, nommer Charlotte, fut mariée a Jacques de Brezè, comte de Maulevrier ; surprise en adultère, elle fut poignardée par son mari, mais elle avait eu un fils Louis de Brézé, comte de qui devint granf sénéchal de Normandie et épousa Diane de Poitiers.