Page:Michaud - Biographie universelle ancienne et moderne - 1843 - Tome 1.djvu/257

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
241
AGR

de Fréjus, vers l’an 36 de l’ère chrétienne, fit ses études à Marseille, ses premières armes dans la Bretagne, passa de l’enthousiasme de la philosophie à celui de la gloire militaire ; et, dans les camps ainsi que dans l’école, dans la ville comme dans les provinces, conserva toujours une pureté inaltérable. Questeur intègre auprès d’un proconsul concussionnaire, tribun muet sous Néron, préteur religieux sous Galba, gouverneur chéri d’Aquitaine, et consul honoré sous Vespasien ; lorsque ce dernier empereur commençait à rendre moins pénible pour les Romains la perte de leur liberté, Agricola fut envoyé chez ces Bretons à qui Jules César avait voulu ravir la leur, et qui la défendaient depuis cinquante ans avec une opiniâtreté indomptable. Les Romains même, devenus esclaves, étaient encore élevés a croire que les autres nations avaient été créées pour leur obéir. Il était dans la mission d’Agricola de subjuguer les Bretons, et dans son cœur de les civiliser ─ il réussit à l’un et à l’autre. Voulant signaler son arrivée par un début qui tout à la fois frappât l’esprit de ces différentes peuplades, et relevât le courage de sa propre armée, il courut eu plein hiver contre les Ordoriques, qui venait d’exterminer une division de cavalerie romaine, entraina ses troupes qui hésitaient, en marchant partout à leur tête ; gravit les montagnes, atteignit les insurgés, les tailla en pièces, revint conquérir à la nage l’ile de Mona, dont les habitants, le voyant sans vaisseaux, n’avaient pas même songé à se défendre contre une agression de sa part. Pendant six campagnes, Agricola marcha de succès en succès, poussant toujours les barbares devant lui, employant les étés à soumettre de nouvelles nations, les hivers à instruire dans les arts de la paix ceux que le sort de la guerre avait mis en son pouvoir, et à se concilier, par la justice de son gouvernement, ceux qu’avait domptés la force de son bras. Parvenu aux deux golfes et à la langue de terre qui sépare la Bretagne de l’Écosse, appelée alors Calédonie, il osa le premier traverser ces golfes sur un navire, borda les deux rivages de ses flottes, occupa le défilé par ses troupes : et les barbares, qui avaient toujours reculé, emmenant avec eux leurs familles, leurs trésors, leur bétail, se virent enfermés, pour ainsi dire, dans une seconde île. Alors le désespoir vint ranimer le courage de ces tiers Bretons, qui n’avaient plus à choisir qu’entre la vengeance et les fers, et qui aimaient mieux mourir que de servir. L’issue de la sixième campagne fut indécise ; et, des l’ouverture de la septième, d’un côté Galgacus à la tête d’une multitude innombrable rassemblée de tous les cantons de la Bretagne, de la Calédonie, de l’Hihernie ; de l’autre, Agricola conduisant une armée où des Bretons soumis s’étaient déjà mêlés aux Romains vainqueurs, se trouvèrent en présence, impatients de décider cette grande querelle. Cette fois encore les Romains l’emportèrent, non par l’ascendant d’une bravoure supérieure à celle de leurs adversaires, mais par l’avantage que la discipline donne toujours à une valeur exercée sur une intrépidité aveugle, et aux mouvements mécaniques des corps sur les plus nobles transports du cœur humain. Tacite nous peint en traits animés, à côté de la joie et du butin des vainqueurs, la désolation et la misère des vaincus : errant tous à l’aventure, hommes et femmes confondant leurs lamentations, traînant leurs blessés, s’appelant les uns les autres, abandonnant leurs maisons, et y mettant eux-mêmes le feu ; les pères et les époux, allant et revenant de la rage à l’abattement, et de l’abattement à la rage, à l’aspect de leurs enfants et de leurs femmes ; plusieurs même les massacrant par une espèce de pitié. Alors Agricola fut le triomphateur de la Bretagne, de la Calédonie, de toutes les iles Orcades. Il se disposait à être celui de l’Hibernie. Un des rois de cette île, chassé de ses États par une sédition (on croit que c’est le Thuathal Téachmar des chroniques irlandaises), était venu implorer le secours du gouverneur romain, et Agricola le retenait près de lui, dit Tacite, sous le voile de l’amitié, avec le projet d’en faire l’instrument d’une nouvelle conquête ; mais Vespasien n’étant plus, Domitien, monté sur le trône du monde, y fut jaloux des victoires d’Agricola. Forcé de le louer en public, il lui envoya l’ordre secret de revenir et de rentrer dans Rome pendant la nuit. Le froid embrassement, un silence ténébreux, décelèrent l’âme du tyran ; dès sa première entrevue avec le vainqueur de la Bretagne. Ni la profonde sagesse d’Agricola, ni sa vie retirée après son modeste retour, ni le sacrifice qu’il avait fait sans murmure des honneurs du triomphe, ni le refus qu’il y joignit d’un gouvernement qui lui appartenait de droit, ni la candeur avec laquelle il se justifia de plusieurs accusations intentées contre lui, rien ne put le sauver de la mort ; il était âgé de 56 ans. Son père avait été tue par l’ordre de Caligula, sa mère massacrée par les satellites d’Othon, et l’opinion générale fut qu’il avait été empoisonne par Domitien, qui n’en parut pas moins les yeux baignés de larmes au milieu du deuil public, « désormais « en repos sur l’objet de sa haine, dit Tacite, et cachant « mieux la joie que la crainte. » On ouvrit le testament du défunt : Domitien s’y trouva institué cohéritier avec le plus tendre des fils et la meilleure des femmes ; on le vit s’en réjouir comme d’un honneur et d’un hommage. « Les adulations continuelles « l’avaient fait arriver à ce degré d’aveuglement et « de corruption, qu’il ignorait que les bons pères « n’appellent à leur succession que les mauvais « princes. » — « O Agricola ! s’écrie le sublime et « pieux historien de ce grand homme, heureux par « l’éclat de ta vie, tu le fus encore par l’époque de « ta mort. Tu n’as pas vu les portes du sénat assiégé, « les sénateurs investis de soldats, tous « ces consulaires enveloppés dans le même massacre, « tous ces illustres Romains exilés et fugitifs ! » L. T-l.


AGRICOLA (George), proprement Bauer, médecin, né à Gleuchen en Misnie, l’an 1494, étudia d’abord à Leipsick, puis en Italie, sous les savants qui rendaient alors cette contrée la patrie des sciences et des lettres. Il revint ensuite exercer la médecine à Joachimsthal en Bohême : mais son goût pour la métallurgie l’entraîna bientôt exclusivement. Il alla à Chemnitz, près des riches minières des électeurs de