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de France. La reconnaissance publique réclamait des honneurs plus distingués ; le gouvernement s’en occupa ; on choisit, en face de l’église, un lieu plus convenable pour ces cendres illustres ; Louis XV donna les marbres et les bronzes qui servirent à la construction d’un obélisque funéraire. L’épitaphe de madame d’Auguessau, qui se trouve dans l’édition in-4o des Œuvres du chancelier, avait été composée par lui-même. Le terrorisme révolutionnaire, qui voulait niveler tout, jusque dans la région des souvenirs, porta sa main sur le mausolée de d’Aguesseau. Les ornements en furent arrachés, les bronzes et les plombs enlevés, les deux tombeaux ouverts, et les ossements jetés sans honneur hors de leur sépulture. Mais la municipalité veillait sur ces restes précieux, elle attendit un temps plus calme pour les réunir dans un même cercueil, et les rendre à leur asile primitif. Le monument a été rétabli, autant que les circonstances ont pu le permettre. Il ne reste que les inscriptions sur les marbres de la base. On donna un appareil public, mais simple et décent, à cette cérémonie, qui eut lieu au mois de décembre 1810. en présence de la famille, sous les auspices et avec les secours du gouvernement consulaire, et par les soins du préfet du département de la Seine. La statue de d’Aguesseau a été placée, en 1810, devant le péristyle du palais législatif, parallèlement avec celle de l’Hôpital. D’Aguesseau avait occupé pendant trente quatre ans la première magistrature de l’État ; il en passa dix dans l’exil : au milieu de ces alternatives de faveur et de disgrâce, toujours calme, toujours élevé au-dessus des passions et des intérêts, inaccessible à la crainte ainsi qu’a l’orgueil, il n’eut besoin d’aucun effort pour supporter l’adversité ; il jouit du pouvoir sans ivresse. Cette heureuse sérénité d’âme était due à une pureté de conscience, à une douceur de caractère, en un mot, a toutes les vertus domestiques qui lui concilièrent sans cesse l’estime des gens de bien et l’adoration de sa famille. On disait de lui qu’il pensait en philosophe, et qu’il parlait en orateur. Ses contemporains en ont parlé avec respect, mais sans adulation. Le duc de St-Simon n’a pu s’empêcher d’en dire du bien. « Beaucoup d’esprit, dit-il, d’application, de pénétration, de savoir en tout genre, de gravité, d’équité, de piété, d’innocence de mœurs, faisaient le fond du caractère de M. d’Aguesseau. » Cet éloge est bientôt tempéré par des traits de censure : il accuse le chancelier de lenteur et d’indécision dans l’expédition des affaires. Le comte de Céveste Brancas lui en faisait un jour le reproche : « Quand je pense, disait ce magistrat, qu’une décision de chancelier est une loi, il m’est bien permis d’y réfléchir longtemps. » Duclos ajoute dans ses Mémoires qu’il manquait souvent de fermeté pour exécuter des réformes qu’il croyait cependant nécessaires. Le duc de Gramont, lui demandant un jour s’il n’y aurait pas moyen d’abréger les procédures et de diminuer les frais : « J’y ai souvent pensé, dit le chancelier ; j’avais même commencé un règlement la dessus ; mais j’ai été arrête en considérant la quantité d’avocats, de procureurs et d’huissier que j’allais ruiner. » St-Simon et Duclos sont deux écrivains de la plus grande probité ; mais leur causticité est connue ; tous deux étaient hommes de parti, et l’on peut se permettre de les soupçonner quelquefois d’exagération. Quoi qu’il en soit, il est des titres glorieux que l’on ne contestera jamais à la mémoire de d’Aguesseau, ceux de grand magistrat, d’écrivain supérieur. d’orateur éloquent. Il possédait à fond le grec et le latin, l’hébreu et d’autres langues orientales, l’italien, l’espagnol, le portugais et l’anglais. Consulté pour la réforme du calendrier en Angleterre, il y contribua en grande partie. Quand on lit ses plaidoyers et ses réquisitoires, on cesse d’être étonné de sa prodigieuse renommée ; partout on y trouve, avec la connaissance la plus étendue des lois et des auteurs, une sagacité lumineuse dans la discussion et dans l’application des principes ; partout l’exposition des moindres détails est aussi claire que complète, et les grâces d’une élocution facile ne semblent être ajoutées que pour empêcher l’attention de se fatiguer. On nous a conservé aussi les harangues et les mercuriales qu’il prononça pendant un assez grand nombre d’années à la rentrée du parlement : elles ont des beautés qui peuvent être senties plus généralement, et dont la source mérite d’être connue. La liaison intime qu’il avait formée dans sa jeunesse avec Racine et Boileau, l’habitude qu’il avait contracté de faire, sous les yeux de ces grands maîtres, de très-beaux vers, qu’il eut toujours la modestie de ne point faire connaître, avaient donné à son style cette noblesse et cette harmonie qui se font sentir jusque dans la moindre période, et qui, quelquefois, offrent le défaut d’une trop grande perfection. C’est le sentiment du père de d’Aguesseau lui-même. « Mon fils, lui disait-il quelquefois, votre ouvrage serait plus beau, si vous ne l’aviez pas retouché. » Ces discours ont un mérite de plus ; les devoirs du magistrat y sont tracés, et l’orateur y dévoile, sans le savoir, tous les secrets de son âme. C’est à cet accord si parfait entre ses paroles et sa conduite ou ses sentiments, qu’il faut attribuer le grand succès de ses discours au moment où ils furent prononcés. Ce fut par là que d’Aguesseau obtint un triomphe réservé a ceux dont l’éloquence vient du cœur, lorsque, faisant l’éloge de l’avocat général le Nain, son collègue et son ami, il fut interrompu par sa propre douleur et par les sanglots de tous ceux qui l’écoutaient. Ou aime a trouver cette douce et profonde sensibilité à côté d’un grand talent, et d’une haute vertu. Les Œuvres de d’Aguesseau ont paru en 13 vol. in-4o, 1759·89 ; les premiers ont été réimprimés en 1787-89. Le Discours sur la vie, etc., de d’Aguesseau, père du chancelier, est dans 13e et a été tiré à part 60 exem., 1720, et réimp. à Paris, 1813, in-12, avec 3 lettres sur la création. L’édition des Œuvres, Yverdun, 1772-75, 12 vol. in-8o, renferme les 8 premiers vol. in-4o Celle de Fantin et Fanjat, Paris, 1819-20, 16 vol. in-8o, avec pièces inédites, et discours de Pardessus, est la plus complète. Rives a publié en 1825 : Lettres inédites de d’Aguesseau, Paris, 1 vol. in-4o ou 2 vol. in-8o