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intéressantes, de beaux vers et de nobles sentiments convenablement exprimés. À la mort de Bernardin de St-Pierre, Aignan fut élu membre de l’Académie française, le 8 mars 1814. Il avait pour concurrents MM. Jouy et Baour-Lormian, qui fulminèrent, le dernier surtout, contre leur heureux rival. Les journaux se mirent de la partie ; ils attaquèrent vivement cette promotion presque entièrement due au crédit des hauts protecteurs d’Aignan, et à l’influence alors irrésistible à l’Académie d’une coterie dite du déjeuner. Dès lors Aignan se vit particulièrement en butte aux attaques du Nain jaune, petit recueil pérodique dont la hardiesse malicieuse alla toujours croissant jusqu’à la fin de 1815. Il est juste toutefois de remarquer que si, comme écrivain faible et sans couleur, Aignan était fort attaquable, il merita de l’estime comme homme privé. Plein de douceur, d’aménité, il fut d’autant plus sensible à tant de sarcasmes, que jamais il n’avait trempé sa plume dans le fiel. Le 10 avril 1814, après la chute de Napoléon, le gouvernement provisoire le désigna pour faire les fonctions de maître des cérémonies à la réception du comte d’Artois. Depuis cette époque, il rentra dans la vie privée, jusqu’au moment ou le retour de Napoléon le rappels aux Tuileries. Ce fut pendant les cent jours, le 18 mai, plus d’une année après son élection, qu’il prit possession du fauteuil académique. Le discours qu’il prononça produisit peu d’effet ; il était empreint de cette médiocrité fleurie qui, sous une plume vulgaire, est le caractère indélébile de tout discours académique. S’il s’étendit beaucoup sur les ouvrages et le mérite littéraire de son prédécesseur, il eut la sage modestie de parler de lui-même le moins possible ; et, gardant la même réserve dans l’éloge obligé du pouvoir régnant, il se contenta d’émettre le vœu que la main ferme et puissante qui venait de rendre un libre essor à la parole écrite ne voulut point enchainer la parole déclamée. C’était demander l’abolition de la censure dramatique. M. Perceval Grandmaison, qui répondit au récipiendaire, parla des travaux de celui-ci avec autant d’urbanité que de franchise. « Quand votre ouvrage s’est produit au grand jour, lui dit-il, loin de vous irriter contre la critique, vous en avez profité pour faire disparaitre les négligences qu’elle vous reprochait ; vous vous êtes servi de sa sévérité contre la malveillance ; vous vous êtes fait un bouclier de ses propres armes, et maintenant encore vous avez recours à ses conseils pour améliorer votre ouvrage par des corrections nombreuses. Et pourquoi seriez-vous à l’abri des traits qu’elle décoche ? Les traducteurs de l’Iliad n’ont pas le privilège de son héros, de cet Achille que Thétis plongea dans la Styx pour le préserver des mortelles blessures : la critique peut les atteindre, et quoique trempés dans la source poétiques, ils ne sont point invulnérables. » Après la seconde restauration, Aignan ne fut pas du nombres des académiciens éliminés par ordonnance ; mais il avait perdu sa place à la cour, et il se consacra désormais tout entier à la littérature. On peut se demander pourquoi, tandis que tant d’autres gens de lettres conservaient sous le gouvernement royal les avantages dont ils avaient joui sous l’empire, Aignan fut ainsi laissé à l’écart ? N’aurait-il pas pu se faire auprès des Bourbons un titre de sa tragédie de Louis XVI ? Ne pouvait-il pas invoquer un antécédent moins connu, mais ainsi honorable ? Il avait, à l’époque de l’assassinat du duc d’Enghien, manifesté, autant qu’on le pouvait alors, sa vertueuse indignation, en publiant, le 21 mars 1804, trois jours après la catastrophe, et dans le même numéro du Journal des Débats où se trouvait le texte de la sentence de mort, quelques vers qui ne pouvaient avoir d’autre intérêt que celui de l’allusion, entre autres ceux-ci :

Que le sang d’un héros versé sous nos portiques

Ne souille point ma table et nos dieux domestiquent
Toi frapper Annibal !…

Sois l’hôte d’Annibal, et non son assassin.

[1]

Plus fidèle que bien d’autres au souvenir de Napoléon son bienfaiteur, Aignan ne fit aucune démarche pour obtenir de la restauration ces faveurs qui étaient alors le prix presque exclusif de l’apostasie. Dans cette position, il se trouva tout naturellement conduit dans les rangs de l’opposition qui, de bonapartiste qu’elle était d’abord, devint libérale par la force des choses. Au commencement de 1816 (5 février), il donna une troisième tragédie qui ne réussit point : c’était Arthur de Bretagne, dont le sujet était tiré de la pièce de Shakspeare qui a pour titre : la Vie et la Mort du roi Jean. Déjà Ducis en avait fait une faible imitation ; mais Aignan n’avait pas même eu le bon esprit d’emprunter à Shakspeare deux scènes magnifiques que le sujet lui indiquait. Malgré le jeu de Talma, de Damas, de St-Prix, de Mlle Mars et Duchesnois, car la pièce avait été montée avec un soin tout particulier, les acteurs ne purent l’achever, et le rideau tombe sur ce vers ridicule :

Le fer d’un roi, d’un roi, lui traversait le flanc.

Depuis cette époque, Aignan ne tenta plus l’épreuve de la scène et s’adonna exclusivement au genre polémique. Il fut un des fondateurs et des collaborateurs les plus actifs de la Minerve et de la Renommée. Lors de la réunion de cette feuille au Courrier français, nouvellement fondé par MM. Vilenave et Kératry, le 1er février 1820, Aignan devint copropriétaire de ce journal ; mais il ne fut point admis au nombre de ses rédacteurs ordinaires. Ses articles, toujours correctement écrits, manquaient de cette force de doctrine qui décèle un publiciste exercé, et de cette allure piquante qui place un journaliste au premier rang. Appelé, en 1816, à prononcer, comme juré, sur la conspiration de l’épingle noire, qui n’était guère qu’une intrigue provoquée par la police, Aignan prouva ce que peut dans un procès politique un juge éclairé et indépendant. Par son influence, intervint un verdict qui renvoya absous tous les ac-

  1. Ces vers, au nombre de 16 se trouvent à la fin du feuilleton sous ce titre : Traduction d’un fragment du 2e livre de la seconde guerre punique de Silius Italicus, et avec ce sommaire : « Pacavias sénateur de Capone, conjure son fils de renoncer au dessein qu’il a formé d’assassiner Annibal. »