Page:Michaud - Biographie universelle ancienne et moderne - 1843 - Tome 1.djvu/342

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
326
ALB

mourut quelques années après, et laissa deux fils, dont Albert exerça les droits, conjointement avec les siens, en qualité de leur tuteur ; enfin, ces deux princes n’ayant survécu que peu de temps à leur père, Albert, demeuré seul de sa famille, se vit à la tête de ses diverses souverainetés. Jusqu’à la mort du dernier de ses frères, il avait pris peu de par au affaires publiques ; on prétend même qu’il avait embrassé l’état religieux ; à vingt-sept ans, il épousa Jeanne, comtesse de Ferrete, qui, après une stérilité de quinze, ou, selon d’autres, de dix-neuf années, lui donna six enfants, quatre fils et deux filles. À trente-deux ans, une paralysie, suite du poison, lui enleva l’usage des jambes ; il n’en continua pas moins à faire la guerre en personne, tantôt porté dans une litière, tantôt attaché sur son cheval. Il eut la prudence de résister aux sollicitations et aux offres du pape Jean XXII, qui, après avoir déposé et excommunié l’Empereur Louis IV de Bavière, voulait placer la couronne impériale sur la tête du prince autrichien. Albert se déclara même pour cet Empereur, contre son compétiteur, Charles, fils du roi de Bohème, et le seconda dans plusieurs expéditions contre ce rival, que Jean XXII lui avait suscité. Louis étant mort au mois d’octobre 1547, et Charles ayant réuni tous les suffrages, Albert se rangea de son parti, et obtint pour sa famille des avantages considérables ; mais le cours de ses prospérités fut troublé par le mauvais succès de ses entreprises contre la Suisse, l’écueil éternel des princes de sa maison. Il fut séduit par l’espoir de profiter des dissensions qui s’étaient élevées dans la ville de Zurich, espoir presque toujours trompeur, parce que les nations divisées se réunissent contre l’étranger qui les attaque. Les Zurichois, dominé par Rodolphe Brunn, qui, régnant au nom du peuple, n’en exerçait que plus violemment toutes les espèces de tyrannie, avaient adopté les mesures communes dans les révolutions populaires, où la liberté sert encore de prétexte, longtemps après qu’elle a cessé d’être un but. La proscription des nobles, la confiscation de leurs biens, le bannissement de tous ceux qui avaient le malheur de leur être attachés, ou le courage de les plaindre, remplirent la Suisse de mécontents. Ceux-ci se réunirent dans le château de Rapperswyll, et parvinrent, grâce aux intelligences qu’ils avaient conservées dans Zurich même, à s’y introduire dans la nuit du 23 février 1550 ; mais leur tentative pour s’y maintenir ayant échoué, ne servit qu’à motiver des rigueurs nouvelles ; un comte de Habsbourg fut tué, un autre jeté dans un cachot ; Rapperswyll détruit jusque dans ses fondements ; des vieillards, des femmes et des enfants condamnés à périr et de faim dans les forêts, tandis que les hommes dans la force de l’âge expiraient sur l’échafaud ; et Rodolphe Brunn, sentant bien qu’en multipliant les vexations il multipliait ses ennemis, voulut se fortifier par l’alliance de la confédération helvétique, dont jusqu’alors Zurich n’avait pas fait partie. Albert, informé de cette démarche, convoqua dans la ville de Brouck une diète, où il appela les gouverneurs, magistrats et barons de la Souabe, de l’Alsace et de ce qui restait en Suisse de territoire autrichien. La guerre fut déclarée, et Albert se rendit sous les murs de Zurich, à la tête de 10,000 hommes. Le mécontentement des Zurichois contre les démagogues qui les opprimaient dans l’intérieur fit place à la nécessité de la défense extérieure. Le duc d’Autriche fut réduit trois fois a traiter avec ceux qu’il nommait des rebelles. L’empereur Charles IV, à la tête de tous les contingents de l’Allemagne, se présenta enfin devant les portes de Zurich, ne doutant pas que sa présence ne portât les habitant à la soumission. Une garnison de 4,000 hommes opposa néanmoins à cette armée une résistance invincible. La discorde, compagne inévitable des coalitions, et qui s’accroît par leurs défaites après les avoir causées, se glissa bientôt parmi les assiégeants : les prétentions de l’Empereur effrayaient les États qui avaient envoyé leurs contingents à sa suite ; les succès de la maison d’Autriche déplaisaient aux princes mêmes qui avaient pris les armes pour elle. La veille du jour fixé pour un assaut, les coalisés feignirent de se disputer le poste d’honneur, et, tout à coup, tous se retirèrent, laissant Albert avec ses seules troupes. Hors d’état de continuer le siége, le duc d’Autriche, au défaut de la force, recourut à la corruption. Rodolphe Brunn, ce même factieux qui avait persécuté les nobles, saisi leurs biens, exilé leurs familles et leurs partisans, se vendit au duc d’Autriche : tant c’est une erreur grossière que de considérer, dans les révolutions, la violence et le crime comme des gages de sincérité ! Zurich, par le moyen de Rodolphe Brunn, se déclara pour Albert, d’autres cantons parlaient déjà de neutralité, premier pas vers la défection. Les confédérés helvétiques allaient être privés du fruit de cinquante ans de combats ; les montagnards de Schwitz, prenant seuls les armes et faisant flotter à leur tête l’étendard qu’avait illustré la bataille de Morgarten, mirent en fuite les agents d’Albert. L’alliance générale fut renouvelée sous leurs auspices, et le duc d’Autriche retourna à Vienne, où sa cour se fit une loi de ne jamais prononcer devant lui le nom des Suisses. Cette politesse de ses courtisans ne le consola pas, car il mourut de chagrin, le 16 août 1558, dans sa 60e année. L’histoire a donné à ce prince le surnom de Sage, qu’il méritait à quelques égards. Instruit, autant qu’on le pouvait être alors sur le trône, économe, actif, malgré ses infirmités ; tolérant au delà de l’esprit de son siècle, il fut prudent, excepté dans la guerre qu’il eut le malheur d’entreprendre contre la confédération helvétique ; et, même dans cette guerre, il donna des marques de modération et de générosité : il refusa de s’emparer de la ville de Bâle, dont les habitants l’avaient offensé, et qui, détruite en partie par un tremblement de terne, n’aurait pu résister à ses attaques. « Je ne veux pas, dit-il, accabler « ceux que la main de Dieu visite. Rebâtissons « leur ville ; après nous essayerons de la prendre ; » et il fit venir plusieurs de ses paysans de l’Alsace et du Brisgaw, pour aider les Bâlois à reconstruire leurs habitations. Ce fut Albert qui, le premier, ordonna que les États héréditaires de la mai-