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des témoins oculaires ont attesté que prés de 200,000 musulmans avaient péri dans cette bataille, et que les chrétiens, par l’effet d’une intervention céleste, n’avaient perdu que vingt-cinq hommes. Quoi qu’il en soit, le roi de Castille tira peu d’avantage de cette grande journée, l’Andalousie étant alors désolée par la peste et la famine. Néanmoins il se proposait de poursuivre la guerre avec plus de vigueur encore, lorsque la mort l’enleva, au village de Guttiéres-Mugnos, le 6 août 1214, après un règne de 56 ans. La vie de ce prince se partage en deux époques distinctes : maîtrisé d’abord par ses passions, il s’attira, au commencement de son règne, la haine et le mépris de ses sujets ; corrigé ensuite par le malheur, et par le souvenir des dangers auxquels il avait échappé avec tant de peine, il n’eut plus pour règle de conduite qu’une politique saine et raisonnable. Pendant un règne long, difficile et orageux, il sut toujours réparer ses défaites ; et, montrant une fermeté inébranlable, il préserva l’Espagne du joug des Africains. Ami des arts et des lettres, il fonda l’université de Palencia, premier établissement de ce genre qu’on ait vu en Espagne. Alphonse IX laissa le trône à Henri Ier, son fils, sous la tutelle de la reine Éléonore, fille d’Henri II, roi d’Angleterre. B-p.


ALPHONSE X, roi de Léon et de Castille, surnommé l’Astronome et le Philosophe, était fils de Ferdinand le Saint, auquel il succéda, en 1252, à l’âge de trente et un ans. Son amour pour les sciences et pour la justice, et le surnom de Sabio (savant) dont il était déjà en possession, donnaient à ses sujets l’espoir d’une administration heureuse et paisible ; cependant peu de règnes ont été aussi agités et aussi malheureux que celui d’Alphonse X. Ce prince ne fut aimé, ni de sa famille, ni de ses sujets, ni des rois ses voisins ; mais son savoir et son éloquence lui firent une grande réputation en Europe, et disposèrent les électeurs d’Allemagne à favoriser ses prétentions à la couronne impériale. Se laissant aller à une ambition indiscrète, Alphonse X perdit de vue que l’expulsion des Maures et l’abaissement des nobles étaient les deux points essentiels de la politique des rois d’Espagne. Au lieu de tourner ses armes contre les ennemis naturels de la Castille, il se fit élire Empereur, en 1257, par une partie des électeurs, ou plutôt par une faction de princes allemands qui comptaient s’enrichir de ses trésors. Son but était d’abord de faire valoir avec plus d’avantages ses prétentions sur la Souabe, du chef de sa mère Béatrix, fille de Philippe Ier, Empereur et duc de Souabe ; mais il ne put amasser que par des moyens injustes l’or qu’il lui fallut prodiguer à des étrangers pour soutenir son élection ; il fut obligé d’altérer les monnaies, de fouler les peuples, et même de retenir les honoraires des officiers de la couronne. Les Castillans murmurèrent, et quelques seigneurs, excités par l’infant don Henri, frère du roi, se liguèrent contre l’autorité du monarque ; l’infant fut vaincu ; mais ce ne fut qu’à force de dons et de promesses qu’Alphonse X désarma les mécontents. Un levain de rébellion restait dans tous les cœurs. Malgré l’élection de Rodolphe de Hapsbourg, le roi de Castille, loin de renoncer à l’Empire, fit des actes de souverain d’Allemagne sans quitter la Castille ; et, après avoir protesté contre la nomination de Rodolphe, il donna à Frédéric l’investiture du duché de Lorraine ; mais ce fut en vain qu’il fit le voyage de Beaucaire pour demander au pape Grégoire X la couronne impériale, ou, au moins, le duché de Souabe, il n’obtint ni l’un ni l’autre. Tandis qu’il poursuivait de vains honneurs au delà du Rhin, son trône était à la fois menacé par les intrigues des grands et par les armes des Maures. Alphonse marcha contre ces derniers, auxquels il avait déjà montré sa voleur du vivant de son père, à la conquête de Séville. Après les avoir défaits en bataille rangée, en 1263, il leur enleva les villes de Xerès, de Médina-Sidonia, de San-Lucar, et une partie des Algarves, et il réunit le royaume de Murcie à la Castille ; mais ses succès furent troublés par une nouvelle ligue des grands du royaume, qui levèrent l’étendard de la révolte en 1271, excités par l’infant don Philippe. Après trois ans de guerres civiles, ils ne virent qu’une preuve de faiblesse dans la clémence dont on usa à leur égard. Mais Alphonse X ne se montra pas toujours si modéré, soit que tant d’opposition eut aigri son caractère, soit qu’étant adonné à l’astrologie, il eût cru lire dans l’avenir, comme on l’assure, qu’il serait un jour détrône. Des lors il devint soupçonneux et cruel. La reine Yolande d’Aragon l’ayant abandonné pour se retirer à Saragosse avec les princes de la Cerda, ses petits-fils, dont elle voulait soutenir les droits à la couronne, Alphonse fit périr, sans forme de procès, don Frédéric, son frère, et don Simon-Ruis de Los Cameros. qu’il soupçonnait d’avoir favorisé la fuite de la reine. Ces dissensions domestiques et le mécontentement public favorisèrent les desseins ambitieux de Sanche, fils d’Alphonse, que sa bravoure avait rendu l’idole de l’armée. Secondé par les grands et le peuple, l’infant de Castille se révolta contre son père, et parvint, en 1282, à le détrôner, et à se faire déferrer le titre de roi par les états du royaume assemblés à Valladolid. Frappé de ce revers, Alphonse implora le secours de son ennemi le roi de Maroc, et, n’écoutant plus que son ressentiment, il se ligua avec les Maures contre son fils rebelle : cette alliance monstrueuse ne servit qu’à le rendre encore plus odieux. Accablé par l’adversité. et n’ayant plus pour retraite que Séville, qui seule lui resta fidèle, cet infortuné monarque mourut de chagrin, le 21 août 1284, à 58 ans, après avoir donné sa malédiction à son propre fils, et légué son royaume à ses petits-fils, et, par substitution, au roi de France ; mais sa dernière volonté ne fut pas plus respectée que son autorité ne l’avait été de son vivant. Peu de rois ont été plus malheureux, et cependant Alphonse X fut le prince le plus instruit de son siècle. Il s’acquit une gloire durable, en donnant à ses sujets l’excellent recueil de lois connu en Espagne sous le nom de las Partidas, et auquel il mit la dernière main. Ce recueil célèbre